C’est un tableau visible dans le vieux centre d’Utrecht. Deux champions côte à côte dans un faux coude à coude, sur une photo géante accrochée à la façade d’une maison. A gauche Joop Zoetemelk (littéralement « lait sucré », un nom raccord avec son prénom), vainqueur du Tour 1980. Et un coureur blond à lunettes, Jan Janssen, premier hollandais à remporter la Grande Boucle, en 1968. Ce matin justement, j’ai rencontré Janssen et je lui ai demandé si ses binocles avaient contribué à sa popularité. Il a répondu oui sans hésiter. Quand il les enlevait, le public n’était plus très sûr que c’était lui… Alors pour être toujours reconnaissable de ses supporters, il a gardé en toute saison cette paire de verres fumés qui lui donne ce visage mystérieux sur la photo-affiche d’Utrecht.

Les temps ont changé. Aujourd’hui on ne reconnaît plus les coureurs car ils portent tous des lunettes. Ce qui était hier un signe distinctif est aujourd’hui un objet de confusion. Janssen avait semble-t-il ouvert la voie à ses seuls compatriotes. On n’a pas oublié le duo Jan Raas et Gerrie Knetemann, tous deux chaussés de montures. Avec sa blondeur et ses besicles de professeur, Laurent Fignon aurait mérité lui aussi d’être hollandais. Il est en tout cas le dernier vainqueur du Tour qu’on identifia à ses lunettes, qui lui valurent d’ailleurs l’étiquette d’intellectuel.

Zoetemelk, lui, courait à visage découvert. Il avait l’œil assez aiguisé pour suivre la roue de Merckx puis d’Hinault. Ceux qui le traitaient de « suceur de roues » sous prétexte qu’il termina six fois deuxième se montraient injustes. Joop était un bagarreur qui provoquait sans répit les cracks de sa génération. Tant mieux pour lui, il réussit à briser la fatalité en finissant par gagner un Tour de France. Et c’est ainsi que les Pays-Bas peuvent s’enorgueillir de compter deux rois légendaires de l’épreuve reine. L’un portait des lunettes et l’autre pas.