Les "assassins" du Tourmalet

"Pourtant, que la montagne est belle !" Jean Ferrat ne fredonnait pas encore sa chanson lorsque, en 1910, les pères fondateurs du Tour eurent cette folle idée de donner du relief à leur épreuve. Comprenez : de faire passer les coureurs par les Pyrénées. Alphonse Steinès, collaborateur du "patron" Henri Desgrange, l’avait convaincu d’explorer le massif encore habité par les ours, où les routes n’étaient que de méchants chemins muletiers. Dans le bien nommé Tourmalet – qui signifie mauvais détour - , Steinès se perdit en pleine nuit et rentra à l’aube dans son auberge, frigorifié. Après un bain brûlant et un solide petit déjeuner, il téléphona à Desgrange et lui lança d’une voix assurée que oui bien sûr, les coureurs du Tour de France pouvaient passer par ces chemins de trompe-la-mort ! Il suffisait, ajouta le rescapé des montagnes, de financer quelques centaines de mètres de route du côté de l’Aubisque pour permettre aux cyclistes de pédaler jusqu’aux sommets. Desgrange lui demanda de négocier le prix des travaux à la baisse, ce qu’il fit… et c’est ainsi que les Pyrénées entrèrent au programme des Géants de la route que le reporter Albert Londres n’avait pas encore appelé les Forçats.

L’été suivant cette reconnaissance, les compagnons du Tour partirent à l’assaut des montagnes avec des bécanes sans dérailleur (celui-ci ne fit son apparition qu’en 1937, victoire du premier champion végétarien, Roger Lapébie). Dans ces temps héroïques, les cyclistes retournaient leur roue arrière au pied des cols pour placer leur chaîne sur une couronne plus grande, adaptée aux rudes montées… L’histoire retiendra qu’Octave Lapize passa en tête au Tourmalet. Aux organisateurs qui l’attendaient en haut, il cria "vous êtes tous des assassins !" Son adversaire et second, Gustave Garrigou, reçut une prime spéciale de 100 francs pour avoir grimpé le terrible col sans mettre pied à terre. Lapize, lui, avait parfois marché en maugréant à côté de son vélo, tout vainqueur qu’il était. Mais ses vrais assassins l’attendaient vers d’autres sommets. Le gagnant du Tour 1910 fut abattu aux commandes de son avion de guerre. C’était le 14 juillet 1917, au dessus de Toul.

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