La légende de Zaaf

Abdelkader Zaaf / AFP

C’était l’époque des étapes de transition. Souvent il faisait chaud, les coureurs couraient la cannette, la course s’étirait lente et indolente, avant qu’une échappée de sans-grades se développe car tout le monde avait bien le droit de vivre, et pas seulement les cadors. C’est ainsi qu’entre Perpignan et Nîmes, dans la Grande Boucle 1950, le Nord-Africain Abdelkader Zaaf connut une mésaventure peu commune qui le propulsa «  à l’insu de son plein gré », dans la légende du Tour. Ce jour-là, le modeste routier avait décidé de frapper un grand coup. Il avait demandé à des collègues belges quelques comprimés d’amphètes, « vous savez, avait-il précisé, vos petites pilules blanches ». Les gars s’étaient laissé fléchir. « On n’a encore rien gagné dans ce Tour », avait plaidé Zaaf avec succès. Mais le mélange de la dope et de la canicule fut hélas malheureux. Echappé avec son équipier Marcel Molinès, il eut un malaise qui le conduisit tout droit au pied d’un platane.

 

La légende raconte que pour soigner fissa un « chaud et soif », il avait descendu un bidon rempli de vin donné par les vignerons du coin. D’où l’odeur de vinasse qu’il dégageait. D’où aussi son complet égarement qui le conduisit à prendre la route à l’envers, jusqu’à tomber nez à nez avec … la voiture-balais ! Zaaf dut abandonner la mort dans l’âme, alors que son copain Molinès, lui, triompha à Nîmes. Mais, ô injustice pour le vainqueur, on ne retint que le nom de Zaaf. Le coureur d’Afrique du Nord devint d’un coup très populaire et fut convié à maints critériums d’après-Tour. Zaaf avait-il bu de l’alcool, lui le musulman pratiquant ? Bien sûr que non ! Mais pour le ramener à lui, les vignerons n’avaient sous la main que du rosé dont ils l’aspergèrent généreusement. Voilà pour l’odeur suspecte… A la fin du fameux western L’homme qui tua Liberty Valance, de John Ford, le directeur d’un journal dit à un sénateur : « Ici quand la légende dépasse la réalité, on publie la légende ». Celle de Zaaf valait son pesant de bon vin. Elle fut très longtemps imprimée sans égard pour la vérité vraie.

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