C’est un moment historique pour vous, vous allez commenter le premier match de foot français de D1 féminine diffusé sur le service public et en prime time…
Marinette Pichon : Enfin ! Nous sommes dans la continuité des prestations de l’équipe de France depuis la coupe du monde en Allemagne, et du parcours de l’équipe féminine lyonnaise en Ligue des champions, qui ont séduit de nombreux français. Le foot féminin a montré qu’il avait des qualités techniques. Les médias y voient aujourd’hui un intérêt. Le foot féminin a une belle carte à jouer et j’espère que ça va accrocher durablement.
Avouez quand même que le niveau du championnat de France féminin s’éloignera beaucoup de celui d’une coupe du monde avec une équipe Lyonnaise qui écrase tout sur son passage. Votre priorité ne sera-t-elle pas plutôt d’utiliser ce prétexte pour faire la promo du foot féminin ?
Fabien Lévèque : Notre objectif est effectivement de faire découvrir le foot féminin à un maximum de gens. Il y a une attente, on la sent après ce qui s’est passé en coupe du monde. Les filles de Lyon ont gagné la Ligue des Champions, il y a onze joueuses de l’équipe de France à Lyon, plus l’avant-centre de l’équipe de Suède. Bref, c’est une équipe idéale pour faire la promo de la D1 française, faire découvrir ce championnat dont on ne connaît finalement pas grand-chose puisqu’il n’a jamais été diffusé auparavant. Nous sommes là pour contribuer à l’essor du foot féminin, pour que ça prenne, pour que les gens aillent dans les stades, que les licenciés viennent dans les clubs. Et je ne suis pas inquiet par rapport au spectacle que nous proposerons sur France 4. C’est une mission de service public que l’on remplit en diffusant Lyon-St-Etienne, puis d’autres rencontres par la suite. Nous partons de rien, c’est un sacré challenge. Mais il y a une attente. Les filles amènent de la fraîcheur, de la fougue, un football différent.
Marinette Pichon : je ne sais pas si notre but est vraiment de faire connaître le foot féminin car nous avons vu que des centaines de milliers de français y avaient déjà adhéré depuis cet été et encore maintenant avec des matchs de l’équipe de France qui attirent encore un million de téléspectateurs. La coupe du monde a permis de faire connaître le foot féminin à une grande partie de la population. L’objectif c’est maintenant d’inscrire tout ça dans la durée, surtout cette année avec les Jeux Olympiques que les Bleues disputeront à Londres l’été prochain. Le championnat de France féminin va permettre de donner une régularité dans l’intérêt des gens, jusqu’aux JO. Et là, je suis sûre que l’équipe de France fera un énorme tournoi et ramènera une médaille. Il y a donc une vraie bonne spirale à prendre en ce moment et le service public s’y est engagé. C’est génial.
D’accord, près de trois millions de téléspectateurs ont suivi les Bleues en demi-finale de coupe du monde, encore un million aujourd’hui sur Direct 8 pour les matchs de qualification pour l’Euro 2013. Il ne faut tout de même pas se croire arrivé non ? Tout le monde, même toi, Fabien, ne connaît pas les joueuses de St-Etienne. Il faudra adapter vos commentaires à cette méconnaissance non ?
F.L : Oui, il est évident que cela demande un traitement différent d’un match de coupe de la ligue ou de coupe de France où l’on connaît tous les joueurs. Les joueuses de Lyon, on les connait, ce sont celles de l’équipe de France. Elles sont professionnelles. Les joueuses de St-Etienne, ce sont des amateurs, des étudiantes, qui doivent avoir 20 ans de moyenne d’âge. Ce sera à nous de les faire découvrir, de parler de leur vie en dehors du foot, de bien montrer aux Français qui sont ces filles, quelles sont les vraies réalités du foot féminin en France. Et St-Etienne illustre vraiment la réalité du foot féminin en France. Lyon est un cas à part finalement.
M.P : Au-delà de l’aspect amateur, il faudra insister sur l’aspect personnel de ces joueuses, montrer qu’elles ont un état d’esprit différent car le foot féminin ne ressemble en rien au foot professionnel masculin. Ces femmes ont d’autres préoccupations dans la vie que de jouer au foot, leurs contraintes professionnelles et privées ne sont pas les mêmes que pour des hommes. Il faut que leurs employeurs acceptent de les libérer pour les entraînements et les matchs, elles peuvent avoir des enfants, elles ne gagnent rien financièrement à jouer au foot etc.. Cela va nécessiter pour nous de faire connaître en profondeur ces particularités pour que l’on apprécie encore plus leurs efforts sur le terrain.
L’OL, la « Ferrari du championnat »
L’erreur serait de survendre ce match, sur le jeu s’entend.
M.P : Oui, il ne faut pas arriver avec nos grosses valises en disant : « regardez ça va être génial ». Ce serait dangereux car les lyonnaises sont tellement plus fortes que les autres, qu’elles risquent vraiment d’ultra dominer leurs adversaires toute la saison. Mais, d’un autre côté on va voir une belle équipe, du beau jeu. Il ne faut pas le sous-estimer non plus. Il faudra rester le plus équilibré possible, le plus juste et objectif. Nous avons eu pendant des années des accroches médiatiques qui sont restées éphémères. Aujourd’hui, nous avons la chance que le foot féminin commence à prendre. Restons prudents et soyons intelligents pour le promouvoir. Il y a des joueuses de qualité mais il y a encore beaucoup de disparités de niveau entre les équipes. Il faut le faire comprendre aux gens.
F.L : Nous sommes conscients de ces écarts de niveau. En deux matchs de championnat Lyon a marqué 19 buts et n’en a pas encaissé un. Nous nous attendons à ce que St Etienne prenne des buts. Le scénario du match est connu à l’avance. Mais ce que nous voulons montrer, c’est du spectacle et je pense que les lyonnaises, devant les caméras, auront à cœur de nous en donner. Elles ont tout intérêt à développer du beau jeu en prime time un samedi soir en clair. C’est dans l’intérêt collectif de leur sport.
M.P : C’est aussi pour elles l’occasion d’asseoir médiatiquement leur puissance en championnat. Lyon, aujourd’hui, c’est la référence du foot français féminin. C’est la Ferrari du championnat et derrière il y a quelques Jaguar ou Mercedes comme le PSG qui a recruté, ou Montpellier.
F.L : Et puis franchement, je ne vois pas comment les gens pourraient nous reprocher de retransmettre le championnat de France féminin. Nous tendons la main au foot féminin et nous sommes bien conscients qu’il doit encore progresser. Ces retransmissions sont à prendre comme le début d’une aventure, une expérience qui j’espère prendra. Il faut laisser au foot féminin du temps pour s’imposer mais aujourd’hui il a les atouts pour le faire, pour se développer. Et puis il y a les Jeux Olympiques, ça aussi ça va contribuer à le populariser.
Tant qu’à tendre la main, un magazine sur le foot féminin n’aurait-il pas été judicieux pour justement mieux faire découvrir ses aspects si différents ?
F.L : Je pense qu’il est encore trop tôt pour un magazine. Mais nous prendrons l’antenne dix minutes avant le match, nous commencerons faire vivre un maximum le match en allant dans les vestiaires, en écoutant les derniers discours des coachs, en faisant découvrir ces joueuses dans les coulisses, choses que l’on ne peut plus faire dans le foot masculin par exemple. Les staffs des équipes féminines jouent le jeu avec la télé et c’est tant mieux car ce sont de petits moments que les téléspectateurs aiment voir aussi. A la mi-temps, nous proposerons un focus sur l’olympique lyonnais sous la forme d’un reportage de quelques minutes. Et dans Stade 2 nous recevrons la joueuse lyonnaise Camille Abily dimanche. Tout se fera progressivement, naturellement.
Les Amazones de Saint-Etienne, vainqueurs du Challenge de France 2011
J’imagine qu’un match comme ça te demande bien plus de travail que commenter un match masculin ?
F.L : oui, j’ai passé la semaine au téléphone, je m’informe, j’appelle les entraîneurs, etc. Mais les lyonnaises, je les connais un peu maintenant. C’est plus du côté Stéphanois qu’il a fallu que je me renseigne. C’était un grand saut dans l’inconnu pour moi, je dois avouer. Je découvre totalement les Amazones de St Etienne ! Je dois donc me mettre à niveau, ce qui demande plus de travail que d’habitude, mais aussi de la curiosité et de l’intérêt car nous engageons un vrai challenge avec France 4. C’est une belle découverte.
En somme, vous préparez votre nouveau duo commentateur-consultante à commenter les Jeux Olympiques que diffuseront le service public.
M.P : (rires) Oui. Nous avons de l’intérêt pour les mêmes choses. Fabien découvre le foot au féminin, moi je le connais bien pour l’avoir pratiqué à haut niveau. Nous sommes assez complémentaires. Je n’ai pas d’inquiétude, même si c’est la première fois que je suis dans ce rôle de consultante, car je sais que Fabien va me guider. J’amène mon expérience et mon vécu et nous faisons ça avant tout pour le plaisir, pour le fun, nous ne nous mettons pas une pression démesurée sur les épaules.
F.L : Je pense que ça va bien marcher entre nous. Nous ne nous entraînerons pas à commenter avant, en cabine. Nous avons un bon feeling. Et si tout va bien, nous irons commenter le foot féminin aux JO et ça ça va être grandiose car les Bleues iront chercher une médaille. Et on espère vraiment tous que le foot féminin en France marchera sur France Télévisions.
Propos recueillis par Vincent Rousselet-Blanc pour En Pleine Lucarne