Mon pote Abdel arborait une bien triste mine ce matin à la salle. » Serge Nubret est mort ! » M’apprit-il d’un air navré. Comme je ne réagissais pas, il accompagna l’information brute, d’une illustration plus accessible au béotien. « C’était le pape du culturisme, celui qui avait fait vaciller Schwarzenegger de son piédestal ! »
Le modèle d’Abdel en quelque sorte qui la cinquantaine bien tassée continue de s’entraîner sans relâche.
Au milieu des années 70, Nubret surnommé la panthère noire trusta les récompenses planétaires. D’abord dauphin de Schwartzy dans la compétition reine, mister Olympia en 1975, puis successivement sacré Mr Univers et Mr World les deux années suivantes.
Abdel que je côtoyais régulièrement à la salle depuis plus de 5 ans et qui ne m’avait jamais rien demandé jusque là, consentit à faire une exception. » Si tu pouvais d’une manière ou une autre lui rendre hommage… » Je ne répondais rien car je savais déjà que toute tentative pour « vendre » une telle histoire à Stade 2 serait vouée à l’échec. Mais je lui promis, sitôt rentré chez moi, de faire de mon mieux pour évoquer ,dans ce blog, la carrière de son idole.
Le culturisme depuis toujours se situait de l’autre côté de la frontière du convenable. Le culte du muscle n’était pas considéré comme un sport mais plutôt comme une activité répétitive, réservée à une communauté obsessionnelle. Si telle était l’unique raison, bien d’autres disciplines dites sportives auraient encouru la même ségrégation.
Non la justification de cet ostracisme affiché se situait évidemment ailleurs, quelque part dans le domaine du non dit. Le body building n’excluait pas le recours aux substances dopantes. Les stéroïdes et autres substances miracles étaient le plus souvent même, en vente libre, en devanture des salles de musculation.
Dans les années d’omerta qui entouraient les performances sportives hors normes, les culturistes repentis constituaient même pour les journalistes, les seuls témoignages à charge pour étayer leur enquête sur les ravages de ces drogues.
Vernon et Le Glou dans un documentaire qui à l’époque avait fait grand bruit avaient en préambule proposé l’interview d’un adepte de la gonflette dont les testicules avaient fini par exploser.
Aujourd’hui, si la lutte anti dopage reste une priorité pour la gouvernance mondiale du sport, beaucoup de langues se sont déliées et le recours systématique aux substances dopantes n’est plus un sujet tabou. C’est même l'une des caractéristiques avérées du sport professionnel. Et malgré l’importance des sommes investies pour éradiquer ce fléau moderne, la frontière entre le culturisme et les disciplines classiques est de plus en plus ténue. Le monde du sport profondément contaminé est devenu simplement moins hypocrite.
C’est ce tragique constat qui quelque part réhabilite tous les Serge Nubret qui inlassablement soulèvent des tonnes de fonte pour sculpter leur plastique et espérer briller dans les concours internationaux. La panthère noire dans ce contexte était un champion d’exception. Il suffit de taper son nom sur un moteur de recherche pour prendre conscience d’un phénomène largement récupéré d'ailleurs par le cinéma.
Rattrapé par la foi, Nubret publia à l’âge de 68 ans un essai intitulé » Je suis…moi et dieu » À travers son récit de vie, il mêle Dieu à toutes les sauces, notamment à travers le conflit entre destin et libre-arbitre. Son livre témoigne surtout de la volonté de réussir et de suivre la voie tracée par l'amour et par cette raison d'être d’inspiration divine, en l’occurrence le culturisme.
En 2009 La panthère noire, alors âgée de 70 ans reprend l’entraînement pour participer à une exhibition la même année, mais au mois de mars il est retrouvé inanimé à son domicile. Il décèdera deux ans plus tard après une longue agonie, emportant avec lui ses rêves de gloire et tous ses mystères, comme bien d’autres avant lui reconnus par le grand public comme d’authentiques champions.
La panthère noire méritait bien de figurer au panthéon de la grande illusion.