Quand l'exception devient erreur

Caster Semenya doit entrer en lice sur 800 mètres dames à Daegu. Deux ans de suspiscion, d'attaques sur son genre sexuel, de discussions sans fin pour savoir dans quelle case on pouvait ranger la championne du monde en titre. Les critiques les plus vives la rejettaient même par instant au rang de tricheuse potentielle.

Mais surtout un silence pesant sur le fond et une gêne de toutes les  instances prédominaient.

Depuis 1966 les premiers contrôles necessaires de féminité réalisés par l'observation de l'appareil génital ont évolué vers la recherche de paires de chromosomes XY pour l'homme, XX pour la femme. Mais compte tenu de multiples situations litigieuses, on s'est orienté vers la recherche d'absence de chromosomes Y mâle chez les sujets féminins. Or les bizarreries des manifestations de la vie sont sans limites et cette démarche s'est avérée très vite insuffisante. En 1999 le CIO a même fini par abroger ces contrôles.

Le plus surprenant fut alors le silence assourdissant, l'absence de communication qui ont entouré cette décision dont l'explication au grand jour aurait pu  préparer l'opinion à une meilleure compréhension des différences. Le CIO se réserva tout de même la possibilité d'intervenir sur des cas jugés suspects. Le terme "intervention" recouvrant l'avis d'un comité d'experts médicaux croisant des spécialités aussi différentes que la gynécologie, l'endocrinologie et la psychologie. Ainsi deux contrôles furent réalisés dans cet esprit à Sydney, aucun à Athènes et on ne sait pas  exactement combien à Pékin.

Autant dire la gêne qui prévalait au sein des instances dirigeantes.

Le terme "suspect" exige  dans la conscience collective d'être apposé aux  mots " Culpabilité" ou " Innocence". Notre vocabulaire est imparfait car de quelle culpabilité ou de quelle innocence s'agit-il ? Peut-on être coupable d'être tombés dans un corps différent de celui des autres ?

C'est dans ce contexte humainement imprécis que l'IAAF  a du régler le cas de Caster Semenya.  Nombre de voix s'élevaient déjà sur sa présence en finale du 800 mètres à Berlin en 2009, la confondant avec une athlète dopée aux hormones mâles.Sans savoir on la condamnait déjà!

Caster écrasa la course ...A 19 ans !

Fait inédit elle ne se présenta pas ensuite en conférence de presse remplacée par le secrétaire général de l'IAAF, qui informa qu'une enquête était déjà en cours. Il s'agissait aussi de la part de l'IAAF de respecter et de protéger l'athlète. Il apparut que Semenya aurait un désordre chromosomique lui faisant produire plus de testostérone que le genre féminin en produit habituellement, qu'elle possèdait une apparence masculine et très probablement un sexe féminin. En fait depuis 2005 l'IAAF avait traité huit cas semblables .  Mais il n'existait pas de textes précis sur ce sujet comme on en avait édicté dans bien d'autres domaines comme le dopage par exemple.

Tout le monde reconnut que Caster était femme mais pas à 100% ! En tirait-elle avantage ? L'équité sportive était-elle respectée ?

Mais qu'est ce l'équité au juste ? L'égalité des chances au départ d'une compétition pour des êtres tous inégaux par définition.

Caster déclarait pendant ce temps." Dieu m'a faite comme je suis et  je m'accepte. Je suis qui je suis et j'en suis fière." Elle conserva sa victoire et sa médaille mais le résultat de l'enquête resta secret. A qui profitait donc  cette étonnante  discrétion?

 Pas à l'athlète en tout cas. Il aurait fallu au contraire informer, expliquer pour ouvrir les esprits et les coeurs à la réalité. A l'éclatante réalité de la différence, de l'infinie répartition de la vie sous ses diverses formes et au respect de la minorité et de l'exception des êtres.

Caster désormais a le droit de  concourir dans la mesure où son taux de testostérone est inférieur ou égal à celui d'un homme. mais évidemment l'essentiel est ailleurs.

Doit-on demander à un être humain d'aller contre sa réalité biologique pour le faire rentrer dans un cadre social prédéterminé alors  même que la pratique sportive prétend offrir à tous les mêmes chances d'épanouissement ? Le sport ne peut être source d'exclusion et d'intolérance !

Aurait-on seulement oublié  qu'en célébrant l'exceptionnel exploit et son auteur, on célèbre aussi l'exceptionnelle génétique ? On y ajoute bien sûr, le sel du courage, l'abnégation à s'entraîner et alors la reconnaisance est totale. Mais à partir de quel moment l'exception que nous encensons devient une intolérable erreur de la nature ? Peut être lorsqu'elle remet en cause les usages fondés sur les dogmes et la compétition en est un aussi. N'est ce pas seulement le révélateur de notre vision étriquée de l'homme, de notre conditionnement, du prisme dual par lequel nous jugeons l'autre qui favorise l'exclusion et l'intolérance ?

La vie n'est riche que par ses multiples facettes et différences et ces histoires nous le rappellent de façon éclatante. Que racontera Caster Semenya dans quelques années à ses enfants ?

Son histoire aurait pu s'intituler " Sois forte ma belle, mais point trop !"