Marc Lievremont dans la loge réservée au maquillage aperçoit-il seulement tout ce monde qui s’agite autour de lui ?
L’entraîneur de l’équipe de France de rugby qui a eu le courage d’accepter l’invitation de Stade 2 semble encore sous le choc de la déroute du samedi soir. Comme s’il s’était réveillé ce dimanche avec une colossale gueule de bois à moins qu’il n’ait jamais réussi à trouver le sommeil, hanté par le souvenir des digues poreuses maladroitement érigées, incapables d’endiguer le déferlement des vagues australiennes. Le point d’orgue de la tournée d’automne s’est conclu par une déroute inouïe, dans la froidure du stade de France. L’une de ses roustes qui frappent les imaginations et marquent l’histoire d’un sport au fer rouge à moins d’une année de la prochaine coupe du monde. 59 à 16 au tableau d’affichage. Les chiffres dans leur démesure ne signifient plus grand-chose. Marc évoque à voix basse les 50 points encaissés en une grosse demi heure. La France de l’ovale a failli et Marc Lievremont blessé dans sa chair tente de rester debout sur le pont comme le capitaine d’un vaisseau en perdition. Il tient à assumer ses responsabilités. Entend –t’il seulement Lionel Chamoulaud, le présentateur de l’émission lui souhaiter la bienvenue et lui murmurer à l’oreille la façon dont la rédaction a décidé de l’opérer à chaud, quitte à appuyer sur une plaie encore béante ? Non sans doute pas.
Marc Lievremont est venu en rugbyman à l’ancienne, seul, quand tant d’autres, rendus méfiants, s’entourent d’une cour, d’un agent, d’un attaché de presse. Je l’observe à la dérobée. Il incarne à lui seul tous les paradoxes. Un gaillard fier, solide mais à la fois si vulnérable. J’ai honte soudain de devoir en ouverture de Stade 2 rappeler la question qui tue, celle censée faire réagir les internautes et lancer la prolongation de l’émission sur la toile. » Ce quinze de France est-il le plus faible de l’histoire ? » L’outrance proclamée semble soudain tellement obscène. Lievremont, assis à mes côtés, ne bronche pas. Il rassemble toute sa fierté, son orgueil de champion bien décidé à faire front, à défendre coûte que coûte son honneur, sa feuille de route. En face de lui, Mathieu Lartot mène l’interview.
Le commentateur attitré du rugby pose les vraies questions et peu importe si elles dérangent. Il est journaliste avant tout. » Pourquoi, le quinze de France a-t-il consommé tant de joueurs quand victorieux du grand chelem, l’équipe pouvait s’appuyer sur un groupe compact et expérimenté ? Marc Liévremont évoque les blessures, les cadences infernales, ce championnat si exigeant quand les autres nations se limitent à des joutes entre provinces. Mathieu renchérit. Le bilan chiffré de l’actuel sélectionneur pâtit de la comparaison avec ceux de ces prédécesseurs. Le temps imparti au débat est compté. Cinq minutes tout au plus pour assurer la défense du staff aux commandes. C’est bien peu évidemment mais ce sont les règles du jeu. Marc Lievremont s’échappe sitôt la page rugby refermée. Furieux, décontenancé ? Sans doute un mixte des deux. Mathieu ce soir pourtant n’a fait que son métier. Mais Marc s’attendait vraisemblablement à une opposition plus convenue. Des constats apaisés. « Il nous reste du temps pour travailler et combler ce fossé… Le tournoi approche et la France possède les moyens de s’imposer encore en championne de l’hémisphère nord… » Le monde du sport s’est habitué à des after plus tièdes où si l’on encense les victoires, atténue l’impact des défaites. L’entretien vérité est peut être venu un peu trop tôt. La douleur est encore trop palpable. Je suis persuadé que dans quelques jours il comprendra qu’il n’y a eu ni malveillance ni agressivité à son égard. Bien au contraire. Marc et Mathieu se retrouveront à l’orée du printemps réunis à nouveau autour de la table de Stade 2 pour célébrer les victoires à venir. Car s’il est une chose dont personne ne doute, c’est bien que Marc à la tête du quinze de France saura très vite tirer les leçons du désastre pour mieux rebondir.