Quel souvenir me restera t-il plus tard de cet après midi de cauchemar ? La pluie fine et discontinue qui vait planté le décor ? Les jambes de Fabrice Muamba, seules parties visibles de la tribune de presse, d'un corps autour duquel les secouristes s'activent ? La vie d'un homme ne tient qu'à un fil ténu, sur une pelouse d'ordinaire réservée au spectacle sportif. Benoit Assou Ekoto, le latéral de Tottenham est agenouillé, les mains jointes dans une prière muette. Une immense compassion descend des travées et se diffuse dans toute l'enceinte de White Hart Lane. Pas un seul cri, une seule protestation. Rien qu'une chaleur humaine compacte qui cherche à éloigner le pire.
Après plusieurs minutes interminables, de massages cardiaques et de chocs électriques, Fabrice Muamba quitte la pelouse sur une civière, salué par 36000 gorges brutalement dénouées qui chantent son nom.
L'arbitre conforté par les joueurs et leur staff décide d'en rester là. On jouait depuis 40 minutes entre Tottenham et Bolton et le public déserta le stade comme on quitte un temple ou une église. La tête basse dans un silence recueilli.
Pour mon baptême à White Hart lane, j'avais du traverser en taxi, des banlieues grises et désolées, des quartiers oubliés où pour reprendre la formule de la présentatrice en plateau à Paris, on parle plus de 100 langues différentes et pas toujours l'anglais. " Glauque! " était le qualificatif qui selon elle, qualifiait le mieux cette banlieue désespérée située au nord de Londres.
Le chauffeur de taxi, natif de l'endroit, me confia avoir été écartelé depuis l'enfance entre les Gunners et les Spurs, qui se disputaient l'affection d'une jeunesse désoeuvrée.
Fabrice Muamba, lorsqu'il débarqua de son Congo natal, n'eut vraisemblablement pas la même préoccupation. A 11 ans seulement , il fuyait la guerre civile qui ravageait son pays pour rejoindre en exil son père Marcel, opposant notoire à la dictature de Mobutu Sese Seko.
" Mon premier jour à l'école s'apparenta à un inextricable puzzle. Je n'avais aucun repère. Tout le monde s'exprimait si vite dans une langue inconnue. Les cours d'éducation physique constituaient ma seule oasis. Le football m'offrit peu à peu tous les sésames. C'est grâce à lui que je gagnais le respect de mes camarades. Je me débrouillais, balle au pied et ils pensaient voilà un mec bien !"
Fabrice qui voue une admiration sans bornes à Patrick Viera intègre ensuite le centre de formation d'Arsenal. Espoir confirmé, il décline les sollicitations du Congo et préfére revêtir le maillot international anglais des moins de 16 ans aux moins de 21 ans.
" Si j'avais rejpoint l'équipe nationale du Congo, j'aurais été une cible de choix pour le régime en place, compte tenu du statut de mon père. J'avais peur d'être kidnappé et même d'être assassiné ! Les gens de surcroît en Afrique ne voient les footballeurs qu'au travers de leur mode de vie ou de leur voiture mais ne comprennent pas tous les sacrifices consentis pour en arriver là ! Aujourd'hui je remercie ceux qui m'ont tendu la main et permis de vivre décemment. Voilà pourquoi je me sens profondément anglais."
C'est sur la pelouse de l'un des plus beaux sanctuaires d'Angleterre que Fabrice s'est écroulé samedi. J'ai communié avec tous les autres, impuissant, sumergé par l'émotion. J'ai eu une pensée pour tous ceux, connus ou moins connus, foudroyés en jouant au ballon. A Marc Vivien Foe décédé à Gerland loin de son Cameroun natal.
"The show must go on" bien sûr et on rejouera bientôt ce quart de finale de FA Cup mais je ne regardera plus jamais un match de foot de la même manière. Le drame qui frappe Fabrice Muamba et tous ceux qui l'aiment rend dérisoire les compétitions et leurs cortèges d'humeur joyeuses ou haineuses.
Le sport, comme l'a vécu Fabrice, doit rester l'ultime chance de celui qui démuni de tout veut s'insérer au sein d'une société qui n'en a cure.