Sashina et Teshana sont deux sœurs. Elles sont nées en Malaisie, ont passé toute leur enfance auprès de leurs parents à Kuala Lumpur la capitale.
Leur mère qui enseigne le badminton à des gamins, a naturellement confié une raquette et un volant à ses filles dès leur plus jeune âge.
Il faut savoir que le badminton est le sport le plus prisé dans ce pays d’Asie bien plus que le football qui règne en maître dans la vieille Europe. La famille des deux sœurs est de confession hindouiste. Ce n’est que la troisième religion de Malaisie très loin derrière, en terme de fidèles, de l’Islam et du Bouddhisme.
La gouvernance du sport notamment est plutôt le pré carré réservé des Bouddhistes qui occupent dans la société malaisienne les emplois les plus en vue et les plus rémunérateurs.
Sashina a montré très jeune de grandes prédispositions pour la raquette et le volant au point d’intégrer le pôle espoir, véritable réservoir à médailles pour la Malaisie. Teshana sa cadette suivait les traces de son aînée.
Il ne manquait plus qu’une étincelle pour décider le papa à saisir l’opportunité d’offrir à ses enfants un avenir meilleur. La rencontre avec un couple de français en vacances. L’homme prénommé Julien est passionné par le badminton qu’il pratique assidûment à l’ASPTT Strasbourg. Il apprécie en connaisseur le talent des adolescentes alors âgées de 15 et 16 ans. De son discours bienveillant et chaleureux pointe la possibilité d’une main tendue.
Le badminton, sport olympique, est peu pratiqué en France. Son club de cœur s’enorgueillirait de compter dans ses rangs des athlètes de la qualité de Sashina et Teshana. Pour la famille Vignes-Waran, ( le patronyme des deux soeurs) la France se résume à une carte postale de la Tour Eiffel et à une réputation de puissance mondiale, terre des droits de l'homme, à la pointe des progrès et des technologies.
Les parents se laissent convaincre et voilà comment Sashina et Teshana posent le pied une première fois sur le sol français en décembre 2003 pour un séjour touristique de deux mois. La neige, le marché de Noël, la chaleur de l’accueil en Alsace. Les petites sont aux anges.
Quelques mois plus tard, les deux soeurs bénéficient d’un séjour de 10 mois financé par l’état français, destiné à l’apprentissage de la langue pour les jeunes de moins de 18 ans.
Sashina et Teshana découvrent alors la vraie vie qui s’offre à elle. Loin du cocon familial, un hébergement au CREPS, une inscription en troisième dans un collège. Vient le temps des pleurs et des angoisses. Une langue dont elles ne maîtrisent pas un traître mot. Des cours indéchiffrables à recopier après la classe. Une culture si différente de la leur. A y perdre tous ses repères et ses certitudes.
On n’embrasse pas un inconnu en Malaisie, on ne lui sert pas la main non plus. On se contente d’un signe de main, d’un hochement de tête. On ne refuse pas une invitation et en même temps on ne s’affiche pas dans un bar avec le premier venu. Les voilà déboussolées lorsque des camarades de classes leur proposent innocemment d’aller boire un coup.
Reste heureusement la pratique du badminton, l’incroyable pouvoir d'intégration que seul le sport peut permettre. Nul besoin de paroles pour se comprendre. Nul besoin de codes pour partager une passion commune.
J’ai eu le grand bonheur de faire la connaissance récemment Sashina et Teshana. Elles m’ont irradié de leur bonheur simple. Elles s’expriment dans un français impeccable, ont toutes deux obtenu haut la main leur bac S.
Sashina est désormais classée 58ème mondiale en simple et Teshana est l’une des plus prometteuses spécialiste de double. Sashina pourrait être l’indiscutable numéro 2 française si sa demande de naturalisation n’était pas régulièrement rejetée.
Lorsque je leur demande où elles situent leur avenir, elles me répondent en France dans le même élan. Sashina caresse secrètement le rêve d’obtenir une médaille pour la France aux JO de Rio en 2016 et Teshana de fonder une famille en Alsace. Elles ne renient pas pour autant leurs origines et retournent chaque été en Malaisie pour se ressourcer en famille.
Si j’ai eu envie de raconter cette histoire simple, c’est parce qu’elle contient en elle tous les ferments d’une intégration réussie et profitable à tous. A une époque troublée par des signaux indignes de stigmatisation et d’ostracisme, il me paraissait réconfortant de placer le sport au carrefour des tolérances et des cultures.
Sashina et Teshana qui ont désormais un emploi stable grâce à un CDI signé avec leur club d'accueil, l'ASPTT Strasbourg sauront au mois de juin prochain si elles méritent d'obtenir la nationalité française. En cas de nouveau refus de la part de l'administration, elles tenteront encore leur chance...dans deux ans.
Juste avant de prendre congé et de leur adresser un discret signe de la main, je me suis étonné que le nom de famille de Sashina et Teshana ait une consonance si française. Vignes-Waran.
N’était ce pas un signe de la providence ? Teshana a ri aux éclats puis m’a raconté combien son père était fier de voir s’afficher son nom sur toutes les bouteilles de vin de France.