Sitôt la page refermée, le quotidien reprend ses droits. Encore sous le choc de la cérémonie de clôture. Chris Martin micro en main, assis en tailleur, accompagné par le British Paraorchestra. Un ensemble de 17 musiciens handicapés dont certains très lourdement se fraye un chemin de vie grâce à la magie des sons.
Bercé par « Strawberry swing » je repense au « Strawberry Fields forever » des Beatles, à tout le temps qui s’est échappé, à ces champs de lumière trop souvent négligés.
Dans le hall de la gare internationale de St Pancras, une file d’attente s'étire, le dernier trait d’union avant l’ordre de dispersion. Eurostar a déjà affrété un train spécial pour rapatrier vers Paris, l’équipe de France paralympique et ses 45 médailles. Des rames spécialement aménagées pour prolonger l’illusion que la vague des jeux paralympiques peut par ricochet faire bouger les décideurs.
Départ 11h04, arrivée 14h23 claironne le communiqué de presse promptement rédigé.
Extrait. « Des aménagements uniques ont été réalisés dans ce train qui a pu pour la première fois transporter 18 sportifs en fauteuil roulant, en compagnie d’autres athlètes ayant des besoins spécifiques pour voyager. »
Il est 13h30. Le départ de notre Eurostar est prévu à 14h01. J’accompagne Cyril Moré, champion handisport d’escrime et de ski, qui a rejoint l’équipe de France Télévisions en qualité de consultant. Cyril se déplace en fauteuil depuis 20 ans après une mauvaise chute en ski qui l’a privé de l’usage de ses jambes.
Cyril est surtout un athlète de très haut niveau qui mentalement et physiquement a largement surmonté ce handicap. Nous voyageons ensemble liés par un billet groupé conformément au règlement du rail. Une personne handicapée doit obligatoirement être accompagnée par une personne valide. Je souris intérieurement. Dans notre couple quel est le plus valide des deux ?
L’hôtesse qui contrôle notre billet fait la moue. L’agence à Paris qui s’est chargée de notre voyage a omis de mettre une option sur l’une des deux places par convoi réservées aux handicapés fauteuil. Les trains suivants sont complets. Cyril ne pourra embarquer que sur l’Eurostar de 18 heures.
Je touche du doigt la triste réalité. Plusieurs centaines de voyageurs dans le même train pour seulement au maximum deux personnes en fauteuil. Question de sécurité, nous explique notre interlocutrice. En cas d’évacuation dans le tunnel. Je lui fais remarquer que la fin des jeux paralympiques rend inappropriée cette disposition.
D’ailleurs la société Eurostar n’a-t-elle enfreint ses propres règles pour ramener à Paris l’équipe de France ? La jeune femme semble gênée. La seule solution serait que Cyril puisse parcourir 200 mètres avec des béquilles pour prouver sa mobilité hors du fauteuil.
Evidemment c'est impossible. Cyril fait corps avec son fauteuil. C’est désormais une partie de lui-même. Vouloir nier cette réalité revient à nier sa personne. Cyril, pressé d’en finir, affirme qu’il peut le faire sans problème. L’hôtesse de plus en plus gênée finit par le croire sur parole.
Que se serait-il passé si la présence de la télévision n’avait pas ouvert une brèche dans les consciences ? C’eut été pour Cyril et tous ceux qui se déplacent en fauteuil, une journée supplémentaire de vexation ordinaire.