Coucher leurs noms sur le papier de peur qu’on les oublie. Les héros paralympiques ne sont pas éternels. La fenêtre entrouverte sur notre bonne conscience se referme peu à peu. Accordons leur, une ultime prolongation puisque bientôt derrière nos volets clos, une éclipse totale de considération les confinera dans l’ombre jusqu’à Sotchi.
Entre les lignes de mon petit carnet à spirale, un peu d’encre délavée. La trace des larmes de Martin Baron. L’attaquant du Cecifoot de St Mandé terrassé par l’émotion en recevant sa médaille d’argent. Qui connaissait seulement l’existence de cette discipline de magicien avant que les bleus défient le Brésil en finale du tournoi ?
Je considère comme un grand honneur d’avoir commenté la première rencontre de Cécifoot diffusée sur une télévision généraliste et gratuite. France O en l’occurrence. Et je rêve maintenant d’un match exhibition opposant ces artistes capables de rendre visible, l’invisible aux bleus de Didier Deschamps, les yeux ceints d’un bandeau.
Je conserve précieusement en couverture de mon carnet intérieur, l’image d’Alex Zanardi, brandissant victorieusement d’un main son Handbike, levant l’autre, le poing serré vers un ciel récuré de nuages L’ancien pilote de Formule 1, double médaillé d’or paralympique a vaincu définitivement ses démons en triomphant à Brands Hatch, haut lieu de la course automobile. Privé de ses jambes après un terrible crash en compétition en 2001, Alex est revenu encore plus fort, habité par un mental invraisemblable.
Loin derrière Alex, Léon Gaysli a terminé le coeur léger son contre la montre. Il est le premier haïtien à représenter son pays aux paralympiques. Paralysé des jambes après le tremblement de terre de 2010, Léon âgé de 45 ans après avoir franchi la ligne d’arrivée a prononcé ces simples mots. » Je me sens comme tous les meilleurs athlètes du monde. Je ne pouvais espérer de plus grand bonheur que de terminer l’épreuve sous les vivats de la foule. »
Houssein Omar Hassan, le seul athlète Djiboutien présent à Londres a eu moins de chance. Il a conclu son 1500 m sur le stade 6 minutes après tous les autres concurrents. Souffrant atrocement du pied il a tenu à franchir la ligne encouragé par 80000 spectateurs. »Finish, finish » Murmura t-il en guise de seul commentaire.
Yohansson Nascimento le sprinteur Brésilien après avoir demandé sur la piste sa fiancée en mariage, se claqua en finale du 100 mètres. Après être resté longtemps prostré sur le sol, il boucla la distance à cloche pied en 1’30’’ 79 porté par le public reconnaissant.
Rim Ju Song a parait-il appris à nager l’année dernière. Le Nord Coréen qui est le premier athlète paralympique à représenter son pays a terminé bon dernier de sa série du 50 mètres nage libre.
Jason Smyth déficient visuel a couru le 100 mètres en 10’46. Le sprinteur irlandais qui s’entraîne aux USA avec Tyson Gay est l’athlète paralympique le plus rapide de tous les temps sur la distance reine de l’athlétisme.
Go Jonnie Go. Le public scandant le nom de Jonnie Peacock a perturbé pendant un long moment le départ d’un 100 mètres qui s’annonçait explosif. Le sprinteur anglais amputé d’une jambe, galvanisé par la foule n’a pas manqué l’occasion de devenir le héros qu’elle appelait de ses voeux en reléguant Oscar Pistorius, le blade runner le plus célèbre de la planète, loin derrière lui.
Oscar qui convoitait 4 sacres en Angleterre retourne en Afrique du Sud avec 2 médailles d’or et une d’argent. Pas si mal en définitive. Les jeux étaient pourtant bien mal engagés pour lui après sa défaite surprise sur 200 m face au jeune brésilien Alan Oliveira. Et surtout après son surprenant manque de fair play sitôt la ligne d’arrivée franchie, mettant en cause la longueur des prothèses de son vainqueur du jour. Fort heureusement la nuit porta conseil et Oscar présenta ses excuses dès le lendemain, parachevant la compétition par un succès retentissant sur 400 mètres, sa course fétiche. Les athlètes paralympiques ont heureusement des failles comme tout à chacun.
Bruno Pinhero Carra l’haltérophile brésilien est pour l’heure le seul athlète paralympique convaincu de dopage. Des traces de diurétiques ont été retrouvées dans ses urines. Le banni a évoqué pour sa défense l’absorption de capsules de thé vert. Une excuse de plus à insérer dans le grand bêtisier des tricheurs.
David Weir surnommé Weir le loup avoue avoir été inspiré par le doublé 5000-10000 de Mo Farah aux tout récents JO. Le Zatopek en fauteuil n’a laissé que des miettes à ses adversaires emportant tout sur son passage du 800 au marathon. Le britannique, peu disert face caméra illustre avec Richard Whitehead amputé en dessous des genoux et énorme de fréquence et de puissance sur 200 mètres, la génération des « Superhumans » vantée par Channel Four le diffuseur principal des paralympiques.
La reine des jeux se prénomme sans conteste Ellie. Tous les tabloïds se sont emparés de son image agrémentant ses portraits à la Une de « Winning smiles » et de « Tears of Joy » . Ellie Simmonds, la petite sirène de l’Angleterre a remporté 4 médailles dans la piscine olympique, dont deux en or sur 400 et 200 mètres nage libre.
Ellie avait tout juste 13 ans lorsqu’à Pékin elle toucha au cœur ses compatriotes. Quatre ans plus tard elle est déjà aussi bankable que les plus grandes stars du pays, partenaire privilégiée de BMW d’Adidas et de Cadburys, son portrait géant s’étalant en devanture de Westfield le plus grand centre commercial d’Europe. Les gains de la nageuse de petite taille sont estimés à 500000 livres par an. (625000 euros)
La française Assia El Hannouni parée d’or à huit reprises aux jeux paralympiques ne peut évidemment pas en dire autant. Ses performances sur la piste qui s’étalent pourtant sur trois paralympiades restent hélas plus confidentielles. Cette relative indifférence révèle assez bien l’écart qui existe encore entre la Grande Bretagne et la France en matière de prise en compte du handicap.
630000 personnes ont suivi en moyenne le résumé d’une heure proposé en fin d’après midi par France 2 soit une part de marché moyenne de 8 % seulement, très éloignée des scores olympiques. D’aucun plutôt que s’immerger dans la compétition ont préféré s’en tenir aux petites phrases qui sorties de leur contexte font le bonheur des accrocs du Zapping. Qu’ils sachent que ces athlètes n’attendent du public ni pitié ni compassion mais seulement un peu de reconnaissance eu égard à leurs performances. Qu’ils sachent aussi qu’ils cultivent un sens de l’humour plus développé que la moyenne.
Assia qui tire sa révérence après ses 2 nouvelles médailles d’or (200-400) n’est pas apparue trop affectée par le moindre retentissement des épreuves en France. Elle a simplement tenu à rendre hommage à son guide Gauthier Simounet qui pour la première fois a été associé au protocole de remise de médailles. Assia a aussi échangé quelques mots pleins d’humour avec François Hollande, le premier président de la république française à faire le déplacement.
Les petites sœurs d’Assia s’appellent Marie Amélie Le Fur et Elodie Lorandi. Sur les pistes et dans les bassins, elles ont tous les atouts pour reprendre le flambeau et finir par briser la glace qui les prive de la reconnaissance qu’elles méritent.
En plus du Cecifoot, j’ai découvert le rugby fauteuil que les britanniques ont rebaptisé en frissonnant le « Murder Ball ».Ce combiné de handball, de hockey, de basket et de rugby offre aux paraplégiques un terrain d’expression unique. Riadh Sallem est le porte-drapeau emblématique des bleus sur et en dehors du terrain. Je le revois encore dans un reportage signé Christophe Duchiron et Fred Bazille faire danser sur ses genoux les belles caribéennes du carnaval de Nothinghill.
Sur la dernière page de mon carnet à spirale j’ai écrit le nom de Martine Wright. Le numéro 7 de l’équipe de Grande Bretagne de volley assis n’a eu que très peu de temps de jeu et en plus sa formation a perdu tous ses matches. Pourtant Martine a concentré tous les regards toutes les attentions.
En 2005 le jour même où Londres a obtenu l’organisation des JO elle faisait partie des victimes de l’attentat à la bombe perpétré dans le métro qui a coûté la vie à 52 personnes. Martine a d’abord pensé en finir au plus vite après sa double amputation des jambes. Et puis comme pour tant d’autres accidentés de la vie, le sport a révélé en elle des ressources insoupçonnées. Pendant sept années Martine s’est battue pour finir par décrocher son ticket pour les paralympiques.
Cette simple sélection constitue une promesse pour tous ceux qui projetés brutalement à terre craignent de ne pouvoir jamais se relever.