Longtemps Christophe Auguin vainqueur du Vendée globe en 1997 a été porté disparu. Ou presque. De rares apparitions. Pas de photos.
Mon confrère du JDD Stéphane Colineau a retrouvé en Uruguay, la trace du navigateur en rencontrant sa compagne Bénédicte, photographe et peintre marine renommée. Christophe comme toujours a préféré rester en retrait. La scène s’est déroulée au sein de l’une de ces vastes pampas d’Amérique latine. L’ancien vainqueur du tour du monde à la voile en solitaire s’adonne à l’élevage extensif comme au temps jadis dans une vaste exploitation privée d’eau courante. Le soleil et le vent pourvoient à l’alimentation en électricité.
Ce dénuement et cette modestie justifient en grande partie la fascination qu’exercent les aventuriers des mers sur les marins d’eau douce. Jusqu’à très récemment les grandes courses à la voile se sont privées d’images, alimentant tous les fantasmes. Le public captif et captivé par l’imaginaire vivait l’aventure grâce aux rares liaisons radios, aux récits épiques de ceux qui avaient survécu aux vagues gigantesques, déjoué les pièges des icebergs.
Personne en dehors des initiés n’avait pas la moindre idée de ce que représentait réellement les 40ème rugissants ou le franchissement du Cap Horn mais tous avaient conscience qu’il s’agissait de rites initiatiques de la plus haute importance.
Jeune reporter j’ai eu l’immense privilège de partager durant 10 jours les silences d’Eric Tabarly en escale à St Pierre et Miquelon. Je garde de cette expérience unique un souvenir ému. Le marin rendu à quai, dans sa réserve extrême restait inaccessible aux communs des mortels. Seul quelquefois, un verre en appelant un autre, sa langue se déliait. Les récits à mots comptés affleuraient, comme des récifs fragiles à la surface de l’océan. Il suffisait alors de tendre l’oreille de respecter les silences, de ne jamais laisser transparaître l’envie ou l’impatience.
Une autre fois à l'automne 1987, je fus envoyé aux Acores pour y recueillir les confidences d’ Halvard Mabire. Le marin avait perdu en mer son coéquipier Daniel Gilard emporté par une vague démesurée sur le « La Baule Dakar ». Je me souviens de son arrivée au petit matin en pleine détresse, le visage cerné par le manque de sommeil. Des mots simples et crus qui rythmaient le récit d’un homme à la fois brisé mais profondément respectueux de la nature.
En 2013 la donne a changé. Les investissements de plus en plus lourds exigent d’autres retombées. Le Vendée Globe s'expose avec complaisance. Les marins pour mériter le droit à l’aventure embarquent des caméras, des recettes de cuisine, des sapins de Noel. C’est à celui qui dans la houle sera le plus facétieux pour accaparer l’antenne et laisser apparaître le nom de son sponsor.
Ce qu’elle gagne en lisibilité, la course le perd en mystères. « Le lyrisme et la métaphore transcendaient l’acte héroïque. Le spectacle sportif rejoignait les structures classiques du conte et de la mythologie. « Constatait joliment une psychologue du sport.
Désormais l’océan n’est pas plus grand qu’un terrain de football. A chercher à toute force à vouloir tout illustrer, on se prive de l’essentiel. La puissance de l'imaginaire. Voilà pourquoi quelques soient par ailleurs leurs qualités intrinsèques, François Gabart ou Armel Le Cleach ne rejoindront jamais Eric Tabarly dans la légende.
Aujourd’hui Christophe Auguin n’a qu’une peur. Que l’on parvienne à le localiser. Qu'il ne puisse plus poursuivre sa quête d’absolu à l’abri des caméras indiscrètes sur des terres infinies balayées par le vent qui lui rappellent étrangement les océans de sa jeunesse.