J'ai appris la géographie du sud de la Loire grâce à Roger Couderc. En découvrant les panneaux de résultats qui se succédaient le dimanche soir dans Stade 2. Fumel, Lannemezan, Mazamet, Condom, Castelsarrasin, La Voulte, Graulhet, places fortes de l'ovale, étaient devenues les destinations familières de mes voyages immobiles.
Puis le rugby des clochers s'est peu à peu effacé devant celui des villes, des mécènes et des mercato du bout du monde . Le championnat aux poules nombreuses a été remplacé par un top 14 unique et aseptisé, celui des grosses écuries. J'ai regretté avec Pierre Salviac ce glissement de terrain inéluctable en direction des zones de chalandise , susceptibles d'offrir de meilleurs retours sur investissement, de générer des droits de diffusion plus conséquents.
Je me suis consolé en constatant que les valeurs fondamentales subsistaient néanmoins dans les discours d'après match. Le respect de l'adversaire, de l'arbitre . La primauté du collectif. L'exemplarité de la sanction lorsqu'une faute est commise. Et son acceptation de bonne grâce par le joueur fautif.
Mais les cadences infernales et l'obligation de résultat condamnent de plus en plus le rugby à une professionnalisation à outrance. Avec tous les risques de dérives et d'intolérances que cela comporte. Effectifs de plus en plus étoffés, gabarits de plus en plus impressionnants, stratégies réalistes de plus en plus affinées . L'affiche prime désormais sur toute autre considération et avec elle ses corollaires la qualification pour la H cup, l'obligation de ne pas descendre. Toulon, Clermont, Toulouse, Racing. Tous rêvent forcément de devenir le petit PSG.
Forcément le jour viendra où il faudra que l'homme qui joue au rugby en assume les conséquences au plan du comportement et de la philosophie.
Dans ce contexte le reportage réalisé pour Stade 2 à St Vincent de Tyrosse par Marie Christelle Maury et Christophe Vignal prend des allures de contre-pied. Le portait de Ramun , le 16 ème homme de l'équipe qui évolue en Fedérale porte en lui toutes les raisons de rester optimiste. Voilà un garçon lourdement handicapé qui partage le quotidien et l'intimité de gaillards que la nature a épargné. Ramun grâce à sa passion du rugby et aux regards des autres, s'est peu à peu accepté comme un homme à part entière.
Dans n'importe quelle autre société Ramun aurait couru le grand risque d'être marginalisé ou pire encore d'être l'objet de sarcasmes et de quolibets. Heureusement à Tyrosse le rugby se pratique encore à l'ancienne. Avec ses codes d'honneur et de solidarité.
Tout le monde là-bas connait Ramun. On prend le temps de l'écouter, de partager avec lui les derniers echos de l'équipe fanion. Mieux même Ramun est devenu indispensable à la vie du club. Sa présence, son enthousiasme dans le vestaire, sur le bord du terrain, rassurent . Et si un joueur nouvellement intégré ou subitement amnésique prend quelque liberté avec cette réalité, d'autres promptement se chargent de lui rappeler combien Ramun est indispensable à l'équilibre du club .
En l'adoubant de la sorte les joueurs et le staff de Tyrosse rendent hommage à celui duquel n'émane ni méchanceté, ni jalousie, ni violence. Ramun en les considérant étant sa propre famille leur indique simplement le cap à tenir.
Celui du rugby d'antan, des franches empoignades et des troisièmes mi-temps fraternelles.