Nole et Monsieur Arnaud

Je ne sais rien de Dwight  F Davis,  si ce n’est que cet étudiant américain  a inventé la compétition de tennis la plus épatante qui soit. La coupe qui porte son nom date de1899 et  son génial règlement n’a pas bougé d’un iota. La coupe Davis, c’est un peu comme le Velib. Elle magnifie ramenée au collectif  des valeurs traditionnellement réservées au domaine individuel. Un joueur de tennis professionnel, on le sait, est condamné à évoluer dans sa bulle égoïste. Il parcourt le monde au hasard des tournois, obsédé par son nombril, confiné dans  son obsession à remporter des matches pour progresser dans la hiérarchie mondiale. Au début il est seul.  Plus tard, quand il en a les moyens,  une petite cour l’accompagne. Un agent, un entraîneur…Quelquefois une compagne. Tous dévoués exclusivement à sa cause.

Au rendez vous de la coupe Davis, tous ces repères volent en éclat. La performance de l’équipe prime sur tous les ego. L’athlète qui cette fois représente son pays est invité à se fondre  dans le collectif.  Celui qui n’accepte pas les règles, s’exclue automatiquement du groupe. L’entraîneur ne révèle la composition de son équipe, qu’au tout dernier moment se réservant même la possibilité pendant la compétition de repenser sa stratégie en remplaçant un joueur par un autre. L’ordonnancement des rencontres, elle-même,   incite à l’humilité. Le vendredi on plante le décor. Les numéros un affrontent les numéros deux adverses. Le samedi souvent crucial, les doubles en décousent. Le dimanche en avant programme, on expédie le duel des leaders, pour conserver le plus improbable et humble  pour la fin. S’il y a un match décisif, couperet,  au bout de ce long week end, ce sera celui des sans grades,  l’explication des numéros deux. Le héros au bout de l’interminable suspens sera le plus souvent un soldat inconnu qui une fois sa mission accomplie s’effacera derrière son drapeau. Le mécanisme imaginé par Dwight Davis  a rarement été pris en défaut.

La somptueuse finale de Belgrade n’a pas dérogé à la règle. Nole Djokovic était aux dires de tous les observateurs présents, carrément injouable. Et pourtant le héros de toute la Serbie s’appelle aujourd’hui Viktor Troïcki. C’est à lui qu’est revenu le redoutable honneur de conclure. On comprend mieux son bonheur immense à la fin de la partie. Et on compatit d’autant plus aux larmes de Mika. Ce n’était pas sur son sort  qu’il s’épanchait mais sur celui de l’équipe de France  toute entière. Arnaud Clément, l’équipier modèle qui avait  remporté aux côtés de Mika le double dantesque du samedi, résumait tout le charme de la Coupe par ces quelques mots. » Si je suis arrivé à hausser mon niveau de jeu, c’est parce qu’il y avait Mika sur le court et Guy sur la chaise. » Tout n’était qu’une question d’attitude, de loyauté et de noblesse vis-à-vis de ses potes. Depuis plus d’un siècle, lancés à la conquête du saladier d’argent,  les mousquetaires se conjuguent au pluriel.  Voilà pourquoi les amoureux de sport ne peuvent que se réjouir de ce week end enchanté. La jeune Serbie a remporté brillamment  la première Coupe Davis de son histoire et la France autour de Guy Forget  a désormais toutes les raisons de croire en un avenir radieux. Le soutien indéfectible  de Jo Tsonga forfait mais présent sur le banc atteste si besoin  était  de la solidité du groupe. A l’instant de conclure ce papier, un film de Claude Sautet me revient en mémoire. «  Nelly et Monsieur Arnaud » La rencontre improbable et généreuse de la jeunesse triomphante et de la sagesse éclairée. A Belgrade finalement on a eu  droit à une sorte de remake flamboyant  avec la projection sur écran géant de   «  Nole et Monsieur Arnaud ».  Avec Djokovic et Clément dans les rôles titres, en tous points impeccables. 
 
 

Publié par pmontel / Catégories : Tennis