Peut-on négocier une sélection ?

Marion Bartoli et Frédéric Bousquet ne se sont peut être jamais rencontrés.
Une actualité récente les  pare cependant de tant de points communs qu’on en vient à se demander s’ils ne se sont pas, grâce à un mystérieux fluide,  concertés à « l’insu de leur plein gré.
Marion la meilleure joueuse de tennis française qui refuse obstinément de disputer la Fed Cup si son entraîneur de père n’intègre pas le staff de la délégation, rêve de jeux olympiques.
Frédéric Bousquet qualifié de haute lutte pour les mondiaux de natation de Shanghai, parle lui de mettre carrément un terme à sa carrière si son coach  américain Brett Hawke n’est pas accrédité pour l’accompagner en Chine.
Ces deux incontestables leaders dans leur discipline se heurtent à la règle édictée au préalable par leur fédération respective.
Pour espérer participer aux jeux de Londres, Bartoli devra honorer au moins deux sélections en équipe de France, une obligation à laquelle elle s’est toujours soustraite jusqu’à présent. En tentant de forcer la main de Nicolas Escudé, le sélectionneur, en lui suggérant explicitement  de botter en touche «  Tu  écris au CIO pour leur signifier  que ma présence ne s’impose pas en équipe de France de Fed Cup et l’affaire est réglée ! » Marion se retrouve même désormais en position flagrante de hors jeu. Escudé, piégé, ne décolère d’ailleurs pas «  C’est un tissu de mensonges. A aucun moment je ne lui ai promis quoi que ce soit. » Affirme t-il à Dominique Bonnot, la spécialiste de tennis de l’Equipe.
Pour ce qui concerne les états d’âme de Fred Bousquet, Christian Donzé, le DTN de la natation campe sur ses positions. Pas question  pour lui d’intégrer dans l’encadrement un entraîneur qui n’officie pas en France !
Il y a évidemment plusieurs manières d’aborder ce problème selon le point de vue duquel on se place.
En ce qui concerne les instances dirigeantes, il apparaît capital de ne pas transiger,  en ces périodes d’individualisme forcené, particulièrement lorsqu’il s’agit de représenter son pays.
«  La liberté est une valeur qui monte, les défenseurs du bien commun paraissent aujourd’hui archaïques » Constate dans les colonnes du Monde, Tzvestan Todorov dans un papier intitulé » La tyrannie de l’individu »
Les bouleversements  sociologiques et politiques récents,  relèguent l’intérêt collectif, désormais frappé de suspicion, au second plan. Seulement voilà, poursuit Todorov, le principe démocratique veut que tous les pouvoirs soient limités, non seulement ceux des états ( Ou des fédérations, leur émanation) mais aussi ceux des individus.
En clair ramené à notre propos, cela revient à dire qu’une sélection s’honore et ne se discute en aucune manière. Même Ribery et Evra semblent d’ailleurs avoir parfaitement intégré le message.
Or comme Bousquet n’aura jamais l’aura d’une Manaudou et Bartoli d’un Noah, leur requête semble vaine et même puérile par certains côtés.
Beaucoup moins en fait si l’on examine cette fois la question sous l’angle de la psychologie sportive. Sa grande  connivence avec l’entraîné,  conduit   presque nécessairement l’entraîneur  à réactiver chez l’athlète la charge affective assurée  par la famille proche. Son rôle  dépasse alors largement celui du seul technicien, du calculateur de performance.
«  La prise en compte de l’inconscient permet de décrire la collusion affective, qui se crée entre un athlète et son entraîneur : au-delà du savoir technique même, l’entraîneur est un appui relationnel nécessaire dans la performance de haut niveau. »  Souligne  même la psychanalyste  Sophie Huguet.  Brett Hawke, le coach de Bousquet,  ne dit pas autre chose lorsqu’il évoque la solitude de son nageur devenu, depuis son exil américain,  un  étranger dans sa propre sélection nationale.
Si le bras  de fer continue, les athlètes récalcitrants seront assurément les principales victimes de leur obstination. Le verdict  serait évidemment moins limpide s’il s’agissait d’une star  plus  médiatique, de l’égérie d’un sponsor de renom.
Christian Donzé d’ailleurs  s’est récemment rendu aux Etats Unis,  à Auburn, le lieu d’entraînement de Bousquet, pour juger du possible retour à la compétition de sa compagne, Laure Manaudou.
Si d’aventure cette dernière pour rejoindre la sélection se montrait aussi intraitable que son homme, il faudrait alors au DTN bien plus de courage  pour ne rien céder au bout du compte.