Quand le Parisien évoque une réminiscence festive (Et un et deux et trois zéros !) que Libération fait son cinéma (Rio Bravo) l’Equipe célèbre beaucoup plus solennellement la qualification des bleus pour la coupe du monde de football. D’une manchette, lourde de sens et de sous entendus, qui résonne encore à mes oreilles. RESPECT.
Il est probable que le choix de cette « Une « ne doit rien au hasard. Le gros titre, on le sait, en effet est déterminant pour légitimer une politique éditoriale et doper les ventes. Mais une rapide immersion dans le dictionnaire permet de dégager deux orientations sensiblement différentes.
Pour le sens commun, le respect appliqué à un individu s’apparente à l'estime, et s'appuie sur l'aptitude à se remémorer les actes auparavant accomplis par un individu, lorsque ceux-ci sont dignes d'être reconnus.
Dans cette acception, on ne peut qu’emboîter le pas du quotidien sportif. La performance des bleus, balle au pied, mardi dernier a été en tous points remarquable et témoigne d’un état d’esprit nouveau faisant la part belle à l’abnégation et à la volonté de dépassement indissociables de l’exploit. Respect donc envers ceux qui en si peu de temps ont su trouver les ressources pour se remettre en question et gommer le passif d’un match aller calamiteux.
Mais la définition première du mot respect évoque surtout l'aptitude à considérer ce qui a été énoncé et admis dans le passé, et d'en tirer les conséquences dans le présent. La racine latine du substantif est d’ailleurs respicere qui signifie regarder en arrière. On peut dès lors comprendre pourquoi le journal l’Equipe se projette déjà dans l’avenir des bleus tout en gardant un œil dans le rétroviseur.
En 1998 une violente polémique avait opposé les responsables éditoriaux du quotidien au sélectionneur de l’époque, Aimé Jacquet. Le point d'orgue de ce pugilat verbal est atteint lorsque Jacquet décide de conserver 28 noms sur sa liste, au lieu des 22 titulaires espérés par la presse. Le lendemain, la une de l'Equipe est barrée d'un gigantesque «Et on joue à treize?», tandis que dans son éditorial, Jérôme Bureau le patron du journal estime que le sélectionneur des bleus n’est décidément pas le leader indispensable aux grandes conquêtes mais un brave type incapable de prendre des vraies décisions.
Cette pique acérée l’Equipe la paiera très longtemps. Quelques semaines plus tard en effet la France remporte pour la première fois de son histoire le prestigieux trophée. Aimé Jacquet douloureusement blessé réserve même à chaud à la bible sportive sa première déclaration après la finale. « Je ne pardonnerai jamais », lance-t-il d’une voix chevrotante, saturée d’émotion, à l’adresse des types installés trente mètres au-dessus de lui, en tribune de presse.
Il y fort à parier que cette passe d’armes a pesé lourd dans le choix du mot RESPECT, mercredi dernier . Les temps ont bien changé il est vrai et la position de l’Equipe comme celle des autres quotidiens papier s’est singulièrement détériorée. Les derniers chiffres connus concernant le mois de septembre font état d’une baisse inquiétante de 11,03% des ventes (dont -15,4% en kiosque) soit 251.495 exemplaires.
Sitôt le résultat des barrages entériné, François Morinière, le directeur général du quotidien, garant des équilibres économique, a fait part de son soulagement. «Une Coupe du monde, c'est de 3 à 5 millions d'euros de publicité en plus sur un budget annuel de 100 millions environ. »
Une bouffée d’air pur qu’il convient de préserver à tout prix et qui n’autorise plus le moindre dérapage éditorial. Elle peut, à elle seule, légitimer le choix d’une "Une" un rien condescendante.
RESPECT enfin est un terme à la mode, un mot qui parle à l’oreille des joueurs pro . Dans le langage moderne lorsque l’un d’entre eux est décidé à aller monnayer ailleurs ses talents, il n’hésite pas à déclarer que son club lui a manqué de respect. Autrement dit que le chèque proposé ailleurs est bien plus conséquent.
C’est sans doute aussi dans cette acception plus triviale qu’il faut considérer le titre choc de l’Equipe toute heureuse de ce sauvetage inespéré.