Sochi J-1 Glissement progressif vers le plaisir

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Dans la télécabine qui nous permet, depuis notre hôtel, 24 heures sur 24, de rejoindre la station de Krasnaja Poljana, d’où transitent toutes les navettes, Fabrice Guy champion olympique du combiné nordique me fit remarquer l’importance des glissements de terrain qui affectait la pente.

« La montagne n’a pas supporté tous ces aménagements à l’emporte pièce. Regarde pour protéger la voie ferrée construite en contrebas, il a fallu à la hâte réinjecter des tonnes de béton, installer des tire-forts pour tenter de retenir le pan de montagne miné par l’érosion. «

Les arbres déracinés par les mouvements de terrain ont disparu de la zone névralgique. A la fonte des glaces, c’est toute la montagne qui risque de s’affaisser et recouvrir la voie ferrée et avec elle, une partie de la vallée. Quand on assassine la nature, elle reprend forcément le dessus, un jour ou l’autre. Sans compter évidemment les millions de dollars évanouis dans les rêveries olympiques.

En attendant le printemps de toutes les inquiétudes, voilà un chiffre qui rassure. Un sondage récent affirme que 86 % des russes ont l’intention de suivre à la télévision la retransmission de la cérémonie d’ouverture qui promet d’être fastueuse. Pour conserver une positive attitude, il faut avouer que les sites accueillant les compétitions sont somptueux.

Je suis allé visiter de bon matin celui du biathlon qui offrira peut être dès samedi aux bleus leur première médaille. Je me suis installé dans la position 6 de la mix-zone, les yeux plissés, face à la grande bleue au beau milieu de laquelle le roi soleil règne en maître.

Poutine, fidèle à ses habitudes a fait purger préventivement le ciel de toutes ses scories. Une semaine en amont  de pluie continue et l’assurance du beau temps revenu. J’ai imaginé Martin Fourcade rayonnant, l’or en bandoulière et je suis redescendu le cœur léger.

Dans la télécabine qui me ramenait à l’hôtel j’ai intercepté malgré moi une édifiante conversation. Un kazakh qui travaille comme apprenti dans les cuisines de Swiss Hôtel engagea la conversation avec un couple d’américains qui découvrait les montagnes du Caucase, après avoir fait ses classes à Gstaad, Megève et Aspen.

» I love America ! » S’est exclamé l’apprenti cuisinier suscitant par cet élan soudain,  l’intérêt de ses compagnons de cabine. » Yes 50 cents Jay Z Michael Jackson !!  » La femme, probablement déçue par cette assimilation abusive à la nation à la bannière étoilée , s’est aussitôt refermée sur elle même. Son mari vaillamment a poursuivi la conversation. Du rap elle a dévié sur la Green Card, le visa sésame pour entrer aux USA.  Des étoiles brillaient dans les yeux du gamin. « Vous skiez ? « S’inquiéta encore le mari ? « Non non, mon sport favori c’est la lutte. » Confia t-il  avec un sourire enfantin. « Ah oui, chez nous aussi c’est très populaire. »

Juste avant de descendre de la télécabine, la femme interrogea son mari en réprimant avec difficulté un bâillement. » C’est loin d’ici le Kazakhstan ? » L’homme sec sur la question,  haussa les épaules. Le gamin ne vint pas à sa rescousse . Plongé dans ses rêveries il glissait imperceptiblement vers le plaisir. Il ne lui restait que quelques minutes avant de prendre son service.

Je regardai le couple s’éloigner, la femme emmitouflée dans son manteau de fourrure. Je leur souhaitais bien du courage. La veille encore le Swiss Hôtel n’était qu’un vaste chantier.