Pour pénétrer après la rencontre l’antre d’Arsène, il faut d’abord oser traverser le vestiaire, surprendre des stars, dont on collectionne l’effigie ou le maillot, au sortir de la douche. La pudeur nous invite à baisser la tête, à détourner le regard.
Le bureau du coach, attenant, est vaste Wenger a pris l’habitude d’y convier sitôt le coup de sifflet final, l'entraîneur de l’équipe visiteuse et quelques unes de ses connaissances. Une attention délicate à laquelle Lee Clark, l’ancien pro de Newcastle se montre très sensible. Son équipe de Huddersfield qui évolue deux étages au dessous d'Arsenal est passée tout près de l’exploit. Arsène en convient volontiers. Boro Primorac, le fidèle adjoint, avec sa jovialité intarissable, son accent inimitable, nous propose un café en attendant qu’Arsène se joigne à nous. Boro est toujours un enfant émerveillé, un fan du tour de France, de William Leymergie. Arsène échange quelques banalités avec ses invités, surveillant du coin de l’œil le champ de patate de Nottingham sur lequel les milliardaires de Manchester City s’engluent. Quand il nous rejoint enfin, tout devient soudain plus lumineux.
« La Cup c’est toujours la même histoire. David contre Goliath. Presque impossible ici de faire l’impasse et pourtant j’ai mis sur le terrain l’équipe réserve plus Nasri mais cela n’a pas suffi pour perdre ! » Arsène plaisante bien sûr mais la blessure de Samir Nasri le contrarie. Arsenal joue simultanément sur 4 tableaux et l’effectif s’amenuise. Ligue des champions, championnat, coupe de la ligue et FA Cup. « Enfin 3 tableaux et demi ! » Corrige t-il malicieux. » Parce que honnêtement contre Barcelone c’est du 20-80 ! »
A côté Fabregas, dans le vestiaire, est sans doute rhabillé peut être est-il déjà rentré chez lui ? Voilà le genre de remarque que le meneur de jeu espagnol ne supporterait pas. Sur Cses, Arsène est intarissable. « C’est un garçon hors norme, un éternel insatisfait. Lorsque je l’ai vu pour la première fois, il avait 16 ans à peine et évoluait dans les équipes de jeunes de Barcelone au côté de Messi et de Piqué. Sa mère s’arrachait les cheveux. Elle ne comprenait pas que bien que gagnant à chaque fois par au moins 5 buts d’écart, son gamin était toujours aussi renfrogné. » « J’ai été nul maman ! » Se bornait-il à lui répondre avant de ressortir dans la rue pour taper dans la balle jusqu’à la tombée de la nuit.
« Un champion d’exception est condamné à être malheureux. » Souligne Arsène. « Ceux-là ont tout pourtant, la jeunesse insolente, la notoriété, l’argent mais ils continuent à cavaler comme des morts de faim ! Quand la situation est devenue compromise, que nous jouions en infériorité numérique (Expulsion de Squilacci) j’ai décidé de faire rentrer Cses et comme d’habitude c’est lui qui nous a sorti de ce guêpier ! Regarde Bendtner par exemple. C’est un joueur formidable, rapide et habile techniquement, mais il manquera toujours à l'attaquant danois le petit plus qui fait le champion d'exception parce que lui justement il est fondamentalement heureux. »
Je pense soudain à tous les joueurs de talent qui lui sont passés entre les mains, à sa phénoménale propension à les bonifier à chaque fois. Arsène hausse les épaules. « Je ne suis pas leur patron, ni leur copain. Je me comporte avec eux un peu comme un enseignant bienveillant. Il faut savoir se montrer patient, attendre que l’amalgame se fasse. Regarde Chamakh. Pour l’instant il n’est pas au top, mais tu verras cela ne durera pas ! » J’imagine Arsène à la place de Robin Williams, sur l’estrade du cercle des poètes disparus.
Je garde le plus intime pour la fin. Quel joueur l’a le plus impressionné, quel champion a t-il le plus apprécié ? Il réfléchit à peine. » Thierry Henry, un être rare juste un peu inhibé dans les très grandes occasions. Un peu comme si Usain Bolt terminait 2ème d’une finale olympique pour un malheureux centième. »
« Pourtant il est heureux Titi ? » Le visage d’Arsène se fige un instant. » Je n’en suis pas si sûr. » Me répond-il avec mélancolie