C’est vraiment très chouette de bivouaquer comme ça, au milieu de nulle part. Un privilège même. Le groupe humain que nous sommes (9 bonshommes, avec chacun sa tâche dans cette petite aventure) se resserre. L’écoute est plus attentive. 5 français, 3 Argentins et un Croate installé en Argentine par amour. Ca baragouine en franco-espagnol-anglais. On échange des expressions, on reparle de la route du jour, on extrapole sur ce qu’il s’y passera le jour de la course. Ca se chambre, ça rigole. Sous la grande tente, on déguste l’asado préparé par Tomi (c’est lui le Croate), nouveau mécano-cuistot de la bande. Patrick Juillet mécanicien historique des recos depuis plus de dix ans a été promu cette année : le voilà bombardé chauffeur-du-chef dans la voiture qui ouvre notre petit-train du lever au coucher de soleil.
David Castera (c’est lui le chef), ne peut pas, comme à l’habitude, conduire et mener le cortège. A la veillée, il m’explique pourquoi : « Cet été, j’ai pris la moto dans certains tronçons dédiés, pour être bien certain que les passes étaient franchissables sur deux roues. Et c’était impossible de le tenter en voiture. Je ne sais pas ce que j’ai fichu au juste mais je suis tombé… Même pas vite ! Mais ma jambe gauche a heurté un rocher et ça m’a cassé le plateau tibial. Ca a fait poc !... Et bien mal ! ». Interdiction formelle d’embrayer pour cause de recalcification. Castera ronge son frein côté passager. « Patrick fait du super boulot. Il est très bon pilote et je tiens compte de ses remarques. Oui je suis frustré de ne pas sentir la piste mais j’ai plus de recul que lorsque je conduis, plus de réflexion sur le tracé dans sa globalité. » Et c’est vrai que David est très serein depuis le début de ces recos. Les 6 ans d’expérience sud-américaine comptent énormément. Castera maîtrise son sujet, cela se voit, se sent.
A l’extérieur de la tente que les convives quittent un à un pour rejoindre leur tente, le feu n’est plus que braises. Les étoiles de l’Atacama nous font le ciel le plus pur du monde. La nuit est froide, de ce froid sec qui ne vous glace pas mais qui vous invite tout de même au moelleux du duvet. Ca va descendre à 4 degrés. Supportable. Au lit. Demain ça sonne à 5h.
Quelques ronflements dans les tentes alentour plus tard, on est demain… !
La pâle lumière fait place à un lever de soleil sublime. On en profite, mais pas beaucoup. Café, brin de toilette sommaire et pliage du campement. A 6 heures les moteurs démarrent. Il reste un peu plus de 200km pour sortir de la spéciale et rallier Calama. 9 heures de route, à vue de nez, en incluant la pause café (vers 10h) et le pique-nique…
A peine une demie-heure après le départ, les premiers pièges : des saignées plus ou moins visibles, plus ou moins profondes, plus ou moins larges.
Dans les radios installées à bord des voitures, la voix de Jean-pierre Fontenay qui conduit « vite » en enfilant le double costume schizophrène du pilote pro et celui de l’amateur : « Y’a de quoi se faire surprendre, et j’irai même jusqu’à dire s’en mettre une bonne ! ». En l’écoutant, il revient à ma mémoire l’image de Carlos Sainz arrêté tout près d’ici l’an passé, suspension arrière de son buggy SMG abîmée, blessée par une de ces fameuses saignées, vestiges de rios très anciens dont le lit est désormais à sec depuis des lustres.
Plus loin, il faut s’adonner aux joies du trial : descendre au pas une marche de deux mètres, traverser le fond d’un rio plus large et escalader la mini falaise d’en face en faisant frotter le bas de caisse d’une voiture pourtant bien haute sur pattes.
Ensuite, nous entrons dans le cœur du sujet de l’étape : le fesh-fesh (dénomination saharienne) qu’on appelle Guadal en Argentine ou encore Giusta ici au Chili. Pas dit, d’ailleurs, qu’il s’agisse exactement de la même chose (selon que l’on se trouve en Afrique ou en Amérique du Sud) si l’on considère la composition minérale de cette poudre ultra-fine, étouffante et aspirante à souhait.
Pour essayer de comprendre, on descend de la voiture et on examine la matière qui avale nos pieds jusqu’à la cheville. C’est mou, très mou. C’est hyper sec et hyper volatile. En saisissant une poignée, on a l’impression de plonger la main dans du talc. On regarde et on voit là un mélange de sable très très fin, de poussière et de cendre volcanique.
Concrètement, vous avez l’impression de rouler dans de la farine. Des gerbes de fesh recouvrent le capot et le pare-brise exactement comme lorsque l’on traverse un gué gorgé d’eau. La poussière entre dans l’habitacle en remontant par le plancher. Le moteur peine à donner la motricité aux roues, la voiture louvoie dans tous les sens pendant que l’on s’acharne à maintenir une vitesse minimum sans laquelle cette farine vous bloque et vous aspire jusqu’au bas du châssis. « Il n’y a pas de technique spécifique, m’explique Jean-Pierre Fontenay. L’idée est de garder un max de vitesse sinon t’es mort ! Et une fois posé, c’est un enfer pour repartir. »
Je vous l’ai dit nous sommes pile sur la trace à l’envers de l’étape de l’an passé. Ce n’est pas anodin. Repasser dans les traces du Dakar, c’est trouver sous ses roues un terrain labouré par le passage de centaines de véhicules. Sur un terrain facile, ça complique les choses. Dans le fesh-fesh, ça rend fou. On ne peut plus dire qu’on roule, on progresse, plutôt. « On verra ce que cela donnera pour les voitures de tête, poursuit Fontenay. Je ne suis pas sûr que cela ne les gène énormément mais pour une fois les top pilotes se retrouveront dans la peau des amateurs en passant dans une trace creusée, faites d’ornières et de…talc ! ». J’ajoute une pensée personnelle à celle de Fontenay : quid de ceux qui s’élanceront au-delà de la 20ème place ce jour là… ?
Le début de l’étape, avec les dunes d’Iquique nous a semblé relativement aisé. Les 100km de terrain archi mou, souvent caché sous une croûte de sable trompeuse, qui suivent risquent d’en engloutir momentanément plus d’un. Les derniers kilomètres qui mènent aux portes de la mine Chuquicamata seront un réel soulagement pour tous…
« Repasser dans les traces, ce n’est pas la première fois qu’on le fait, concède Castera. C’est vrai que, là, c’est quasiment sur toute l’étape. On verra bien si cela a une influence sur le comportement des meilleurs. Les autres, de toute façon, ont l’habitude de passer sur une trace abîmée par le passage des premiers. Et le terrain se dégrade dans une certaine limite. Les sillons, une fois creusés par quelques passages gardent une profondeur stable. On ne s’enfonce pas à l’infini, non plus. Je pense que les concurrents de tête motos et autos seront plus embêtés que les autres ; ils ne sont pas habitués à évoluer sur un terrain labouré »
Je suis bien curieux de voir ce qu’il se passera entre Iquique et Calama. Et pressé d’entendre les impressions de Peterhansel et les autres après ce traitement de défaveur. Nous, on en a bavé et on était bien contents de s’extraire de ces nuages de poussière…
15h30, on enchaîne : direction San Pedro de Atacama…