Le Tout Puissant pour l'histoire

Ce soir le Tout Puissant a donné rendez vous à l’histoire. Pour la première fois en effet un club africain disputera la finale du championnat du monde des clubs. Il a quelques jours les congolais de Mazembe ont frappé les imaginations en dominant en demi finale les artistes brésiliens de Porto Alegre. Ce soir il ne reste plus que l’Inter de Milan pour s’opposer au sacre des corbeaux. Le résultat de la partie dépasse de loin l’enjeu d’un simple match de football. L’aura d’un tel succès rejaillirait sur l’Afrique noire toute entière. Un continent d’ordinaire martyrisé, à feu et à sang, frappé par la famine ou le Sida, au sous sol pillé. Les images de l’Afrique relayées complaisamment par les médias suscitent au mieux l’horreur ou la compassion, au pire l’indifférence. La Cote d’Ivoire déchirée en offre aujourd’hui la terrible illustration. Avant de devenir journaliste, j’ai eu la chance de passer trois années à Abidjan au titre de la coopération civile en qualité d’enseignant en économie. Je garde de cette expérience, nichées tout au fond de mon cœur d’autres valeurs hélas dédaignées par l’actualité brûlante. La solidarité sans faille de gens démunis mais dignes. Une formidable envie de vivre qui finit toujours par s’imposer dans un immense éclat de rire. Un certain fatalisme et une infinie violence également. Toutes ces constantes se trouvent réunies dans les rues, terres de poussière, lorsque les gamins dépenaillés courent derrière des balles de chiffon. Il suffit d’observer la scène quelques minutes pour prendre conscience du formidable potentiel qui sommeille. Les camerounais du Canon de Yaoundé ou les guinéens du Hafia de Conakry étendent leur domination dans les années 80 sur les compétitions continentales. Un peu mieux structurés que la moyenne,  ces clubs profitent surtout de l’indifférence de l’Europe. Lorsque les scouts alléchés par ces diamants couverts de poussière affluent, le pillage devient systématique. L’Afrique noire est contrainte de passer la main. Un club pourtant à la fin des années 90 réalise un petit miracle. Jean Marc Guillou, un ancien joueur pro du SCO d’Angers,  technicien hors pair,  redonne à L’ASEC Mimosa, un club de la banlieue d’Abidjan, un lustre inattendu en créant une académie du football qui permet à des gamins de remporter la coupe d’Afrique des clubs champions en 1998. La preuve est faite qu’avec un minimum de respect et d’organisation, le talent des petits africains peut aussi bien s’exprimer que celui des européens ou  des sud américains. La suite, hélas est connue. Les joyaux les plus prometteurs émigrent vers l’Europe de plus en plus jeunes, de plus en plus livrés à eux mêmes. L’eldorado qui leur est promis prend souvent des allures de cauchemar. Quant à leurs clubs formateurs, littéralement pillés, ils  sont condamnés à végéter.

L’exploit du Tout Puissant Mazembe montre que l’Afrique possède aussi des arguments pour retenir sur le continent ses meilleurs éléments. Le président des corbeaux Moïse Katumbi Chapwe est un homme d’affaires et un homme politique congolais. Il est le gouverneur élu de la province du Katanga depuis février 2007. Décrit comme un mélange de Berlusconi et de Chavez, sa fortune est estimée à 20 millions de dollars. L’équipe dirigée par le sénégalais Lamine N’Diaye, un ancien joueur de Mulhouse est composée de joueurs congolais, camerounais, zambiens ou zimbabwéens qui ont l’habitude de jouer ensemble depuis plusieurs années. Ce soir nous aurons peut être le droit au fameux Kidiboikié.
A chaque but inscrit par Mazembé, Muteba Kidiaba le  gardien titulaire  se lance dans une bien curieuse célébration consistant à s’asseoir par terre et se déplacer sur les fesses par petits bonds en avant. "
Ce rituel pourrait bien devenir en cas de victoire, le signe de l’espoir retrouvé pour un continent qui a tant donné ballon et si peu reçu en échange.
 

Publié par pmontel / Catégories : Football