A Catamarca, vers 18 heures, le bon peuple catholique converge vers la cathédrale, une imposante bâtisse ocre, dont la seule présence écrase la place principale et donne d’entrée le ton au touriste de passage. Le séjour sera spirituel ou ne sera pas. Ici, tout le monde dépend d’une façon ou d’une autre de la vierge de la vallée, dont la statue originale trône tout en haut de l’autel. Diamant noir posé dans un écrin doré.
Lorsqu’elle est apparue aux indigènes en 1618, ceux-ci en adoration l’ont baptisé la vierge mulâtresse. Les colons espagnols ont conservé le symbole tout en en adoucissant le trait. Et ce fut le signal d’une réussite exemplaire. Catamarca, c’est la dévotion à tous les carrefours. Peintures murales naïves, sanctuaires sauvages érigés, dans la poussière te les résineux, le long des routes avoisinantes. Un autel de fortune, des croix de bois suspendues aux arbres, des babioles en offrandes, sucreries, cigarettes, bouteilles de soda, cartes postales. Au hit parade des croyances brutes, Gil le Gaucho rallie la majorité des suffrages. En témoignent ces multitudes de chiffons rouge agités par la brise, dans les arbres et les buissons, au sommet des petits coffrets en bois qui recueillent la gratitude d’un peuple soumis et crédule.
Mais le clou du spectacle se tient un peu plus loin en lisière de la ville. Dans une cuvette irrespirable a été construit un sanctuaire en l’honneur de la vierge. On y accède après avoir parcouru à pied quelques centaines de mètres et grimpé un escalier de pierres blanches. Une réplique de la statue conservée en la cathédrale reçoit les prières muettes des fidèles. Tout autour des ex votos témoignent des petits miracles. La religion comme le football offrent aux opportunistes un filon inépuisable. L’homme qui répugne à se regarder en face, préfère emprunter des chemins de traverse. Il s’en remet aux tous puissants, aux magiciens, à Dieu ou à Diego, l’un de ses représentants e commerce sur terre.
La vierge de la vallée réunit deux fois par an plus de 100000 fidèles à l’occasion de deux processions, l’une organisée en avril, l’autre en décembre. Pour l’instant l’endroit est désert. Les quelques rangées de sièges réservés aux officiels sont vides.Quelques chiens errants, usés avant l’heure, la hanche douloureuse, le museau amoché, traîne comme des miséreux à la recherche d’une pitance hypothétique. La vierge noire ressemble à une poupée qu’un enfant aurait abandonnée par distraction pour se saisir d’une bougie. A l’une de ses offrandes en plastique qui jonche l’autel à ses pieds.
Le visionnage des films des processions les plus récentes donnent une idée du phénomène d’hallucination collective qui s’empare le moment venu de la population dévote. On prend conscience alors de l’énormité des enjeux, du poids colossal que pèse l’exploitation de l’image la vierge sur l’économie de toute la région. Pendant une semaine c’est un défilé ininterrompu de fidèles qui patiente de longues heures sous un soleil de plomb pour gagner le droit d’un tête à tête de quelques secondes avec l’icône. La promesse d’une rédemption au risque de tomber avant de toucher au but, déshydraté, pris de vertiges. Quelle différence de traitement avec l’image des footballeurs les plus en vue du moment ? Le stade est un sanctuaire vers lequel convergent les adorateurs du Saint ballon. Le cérémonial est toujours le même et les plus addicts sont prêts à tous les sacrifices pour honorer leurs dieux vivants, balle au pied. La tricherie grossière de Titi est stigmatisée mais pas un argentin ne s’aviserait à dénoncer les frasques de Diego à qui comme Gil le gaucho chacun ici s’identifie.
Le vicaire général l’a bien compris. Trop dangereux d’opposer les croyances et d’opérer un tri entre les rituels. De la Pino se gardera bien de condamner l’idole d’en face. Il tique à peine lorsque l’on évoque la main de Dieu en 1986 et les paroles ordurières prononcées par Diego récemment à l’encontre des médias locaux. Le vicaire dirige son diocèse d’une poigne de fer comme un patron moderne, avec le sourire aux lèvres, un petit bidon replet et une bonhommie de façade. Mais quelques secondes suffisent pour comprendre qu’il est l’un des leaders de la nouvelle génération, apôtre de la communication à outrance et du merchandising agressif. Un magasin jouxte la cathédrale pour proposer des produits dérivés, comme les fanions et les maillots dans la proximité immédiate du stade. Les techniques de gestion sont les mêmes. Seule le cœur de cible varie. Les femmes se regroupent autour de la fontaine pour asperger le front de leur chérubin d’eau bénite. Certaines remplissent des bouteilles en plastique en prévision des prières à venir. D’autres étanchent leur soif, en buvant à même le robinet, un filet d’eau tiède. Profitant de l’objectif de la caméra, le vicaire distribue des bénédictions comme un président de club des poignées de mains Le clergé en Argentine pour avoir su se remettre en cause, ne connait pas de crise des vocations. Les anciens se fondent dans le décor, vieillards voutés, transparents, muets, tolérés.
L’office comme le match débutait à 20h30. La sacristie ressemblait à un vestiaire juste avant le coup d’envoi. Le vicaire enfila avec affectation son habit de lumière en se concentrant ostensiblement face caméra. L’église argentine n’avait rien à envier aux ambiances des stades enfiévrés, aux clameurs des autres messes païennes. Nous l’accompagnâmes caméra à l’épaule dans le couloir sombre qui conduisait à la scène. Notre vicaire, roulait des épaules, bateleur, rockeur, boxeur, footballeur tout à la fois. Juste avant d’officier, il réserva au rouge de la caméra ses ultimes confidences. Le gong retentit. Le show pouvait commencer.