La nature finit toujours par avoir le dernier mot.

Ischigualasto en langue indienne évoquait un endroit mort, un désert de rocailles brûlé par le soleil. Il y avait deux jours de cela, le thermomètre affichait 56 degrés. Chaque pas en dehors du véhicule climatisé est une souffrance pour l’humanité. La gorge s’enflamme et se desséche en quelques secondes, les jambes se dérobent la tête tourne Le soleil est encore haut dans le ciel. Tout ce qui reste en vie se terre  en attendant l’accalmie du couchant. Il y a 200 millions d‘années pourtant, l’endroit grouillait de dinosaures dont les restes fossilisés ont permis des  reconstitutions de squelettes exposées dans un petit musée. Gueules ouvertes et menaçantes mettant en évidence des mâchoires acérées. La vie n’était pas drôle pour tout le monde. La vallée de la lune était un champ de bataille verdoyant alors, parfaitement irrigué. C’était bien avant l’apparition des Andes, bien avant que  les big  bang successifs ne  martyrisent le paysage et aient raison des mastodontes de Jurassic Park. Aujourd’hui nous avions marché sur la lune,  déambulés au milieu des boules de pierre et des cratères de poussières. Et comme à chaque fois  que j’arpente un désert, je ressens au fond de moi une grande quiétude presqu’une délivrance. Je pense à  Théodore Monod,  à ses messages de grande sagesse, aux bienfaits de la méditation.

A la sortie du parc, se trouve la seule réserve d’eau de la région. Un lac artificiel uniquement alimenté par les précipitations,  quasiment à sec. Tout autour du site, désolé des cadavres de bovins gisaient, carcasses à moitié dévorées par les vautours qui tournoient au dessus de nos têtes sans relâche. Les bêtes épuisées par le manque d’eau et de fourrage sont venues se perdre dans ce mirage, les membres embourbés, trop faibles pour s’extirper de la vase. Le désert poursuit sa lente progression avec la même minutie d’orfèvre que l’érosion du fleuve jadis. A une différence près toutefois. Si l’eau ruisselante sculptait l’espoir, la sécheresse étouffante modèle la désespérance.  Des bêtes exténuées viennent s’abreuver en boîtant bas, le train arrière en partie déjà paralysé. La mort noire dessine dans le ciel flamboyant des cercles de patience en  assistant à  leur lente  agonie  Dans le village voisin un fermier s’obstine. Un système ingénieux d’extraction d’eau par éolienne lui permet d’alimenter une pompe qui va puiser à 12 mètres de profondeur  la liqueur de vie dans une nappe phréatique. De quoi irriguer et abreuver le bétail. Ses chevaux paissent  paisiblement dans l’enclos,  fiers, à peine efflanqués. Le fermier refuse de se soumettre à la nature. A l’entendre quelque soient les menaces et les dangers,  Il y a toujours une solution,  un avenir pour l’homme.

 Peut être a t-il raison ? Arrivés à Valle Fertil, une piste caillouteuse  d’une dizaine de kilomètres épouse les contours d’une  rivière joueuse et porteuse d’espérance qui mène par des gués successifs à un campement oublié des hommes, béni des dieux. Le patron nous reçut comme des princes. La chambre est spacieuse, rafraîchie par un puissant ventilateur.  La cuisine est simple et chaleureuse. On devrait  pouvoir vivre heureux et en paix dans un tel endroit à condition de renoncer aux futilités, de ne conserver en soi que l’essentiel.

 A quelues kilomètres la civiisation reprend ses droits . On aperçoit les contours de Mendoza

Place de l’indépendance, des couples d’adolescents s’embrassent à pleine bouche. Les filles sages en pantalon, les genoux serrés tentent tant bien que mal d’endiguer les assauts fougueux de leur partenaire. Les garçons en experts varient le tempo, relevant la tête faussement romantique,  avant de repartir au combat.
En cette fin d’après midi,  le soleil accablant a enfin pris ses distances. Dans la fraîcheur retrouvée, sur les bancs ombragés, Mendoza l’indolente distille une étrange douceur de vivre.,