Bollaert sonnait creux. Les virages assoupis hébergeaient de pâles cohortes de cht’is blafards, drapeaux repliés sur les genoux, cornes de brume posées à même le sol. Le peuple de Bollaert boudait son équipe engluée dans la zone des relégables au classement de la ligue 1, la hierarchie qui dirigeait leur vie. S’ils avaient tout de même pris ce quart de coupe, les plus virulents menaçaient de ne plus mettre les pieds au stade, de fouler en cas de nouvelle désillusion au pied leur précieux sésame, la coupe sombre annuelle qui grevait les budgets. Ils se contentaient pour l’heure d’un coup de semonce en décrétant la grève des chants.
Une déclaration d’amour amère dont les joueurs, grands commis voyageurs n’avaient cure. JPP leur entraîneur maugréait en attendant le coup d’envoi. » Les joueurs sont gavés. Ils n’ont plus faim, ne mouillent plus le maillot. De mon temps… »
Arsène Wenger le manager d’Arsenal m’avait confié un jour qu’il regrettait l’époque révolue où ses joueurs épousaient des apprentis coiffeuses .Ils étaient plus près de la plèbe, plus faciles à contenir .Désormais les stars de l’équipe, comme les présidents monarques chassaient le top model et le courant ne passait plus avec les pauvres bougres qui se saignaient au guichet, pour assurer une part de leurs émoluments.
Les artistes de la « baballe » faisaient le job, flambaient sans compter ou épargnaient comme des écureuils selon leur culture et leur éducation et confiaient à des intermédiaires rétribués à la commission le soin de les alerter si d’aventure la soupe était meilleure ailleurs. Ils traînaient la jambe alors, rechignaient pour un rien et finissaient par claquer la porte en déclarant au premier baveux venu que le club leur avait manqué de respect.
JPP et Sylvain Kastendeuch mon consultant d’un soir, avaient épousé une autre trajectoire. Sylvain avait mouillé pendant 15 ans la même tunique, porté fièrement le brassard de capitaine du FC Metz et Papin originaire d’un village tout proche avait clamé haut et fort son amour du Nord de Bruges à Valenciennes. Ils regardaient désormais vaguement gênés les gamins sortir du bus, les écouteurs vissés sur les oreilles, le regard ailleurs dans une démarche nonchalante qui n’appelait guère la révolte.
Sylvain avait même renoncé à devenir entraîneur. « La technique et la stratégie ne pèsent plus comme avant.Tous le joueurs se valent à peu de chose près. C’est l’approche psychologique qui fait désormais la différence. » Avouait-il en substance. Autrement dit trouver les arguments pour motiver un groupe de mercenaires qui ne connaissait de la région que le chemin le plus rapide pour regagner Paris.
Les groupes de supporters conservaient malgré tout un réel pouvoir de nuisance, qui oscillait entre puérilité et intimidation. Gare au joueur qui s’affranchirait trop et s’aventurerait à un geste ambigu à leur encontre. Les représailles pouvaient être féroces. Pneus crevés, véhicules endommagés, famille menacée. Les hordes qui avançaient masquées semaient la terreur. Leur arsenal était impressionnnant et personne ne se serait avisé à remettre en cause leur légitimité.Ils étaient la mémoire du club, les garants des traditions et tous, du président au staff, leur faisaient allégeance dès que se levait le vent de la révolte.
Tapie alors patron de Marseille leur avait même concédé la gestion d’un partie des abonnements .Le premier souci du nouvel entraîneur était d’aller rencontrer chaque groupuscule, pour leur présenter ses lettres de créance.Vu de l’extérieur l’attelage était des plus comiques .Les gueux, ultras, Bad du Sud ou du Nord, ne voyaient dans le foot qu’une manière de légitimer leur morne existence, en croisant, parqués dans un rectangle de tribune, leurs pathétiques trajectoires. Les leaders, torses nus réchauffés par l’haleine des autres, dos au terrain, bravaient la pneumonie sans chercher à savoir ce qu’il advenait du jeu sur la pelouse. Ils trépignaient, hurlaient, orchestraient les ballets primaires et regagnaient à la fin de la partie les pubs alentours déjà saoulés de cette puissance affichée en tribune.
L’homme, sa bite et son bock, regardaient ainsi défiler la vie, puisant dans ces rendez vous virils, l’opium bon marché indispensable pour courber l’échine le lundi matin au boulot. Les saluts condescendants et feutrés des nantis du ballon leur donnaient l’illusion qu’ils comptaient dans une économie dont l’accès leur était à jamais interdit. Demont puis Maoulida et enfin Monterrubio brisèrent la grève des braves et les chants retentirent à nouveaux dans Bollaert, sang et or.
S’il était juste de dire que les plus désespérés étaient souvent les plus beaux, alors ceux là avaient une résonnance particulière dans une région désertifiée, où les porte monnaies sonnaient le creux et où le seul fait de déambuler dans une rue ressemblait à une pénitence.