Réveil à l’aube. Le long du Bund, Shanghai se régénère. Les adeptes du taijiquan s’ébrouent sur la vaste esplanade qui borde le fleuve par petits groupes plus ou moins formels. Les anciens sont très largement majoritaires.
Shanghai paraît-il est la ville au monde qui compte le plus de centenaires. (923 pour être précis fin 2010) La ville est déclarée officiellement vieillissante. Plus de 20% de la population a plus de 60 ans et la politique de l’enfant unique a sapé durablement la base de la pyramide des âges. Les vétérans, dans leur ballet ralenti resplendissent de beauté pure dans la première lumière du jour.
Tous n’ont sans doute pas eu la vie facile mais ils semblent alertes et en bonne santé. Ils effectuent sans effort apparent toutes sortes d’arabesques compliquées portées par une musique douce. Sont-ce les conséquences des bienfaits du taijiquan, de la nourriture ou de l’harmonie affichée entre les générations ?
Traditionnellement, grands parents, parents et enfants cohabitent sous le même toit. Sous ces aspects là, c’est toujours le satu quo comme sur ce qui est des enfants à venir. Pour des raisons de transmission d’héritage et d’économie, il est toujours préférable d’accueillir un garçon plutôt qu’une fille.
Nous avons choisi pour l’heure de mettre à l’honneur la compagnie la plus prestigieuse de taijiquan, tous ses membres en tenue immaculée. Pour la modique somme de 800 rmb soit 85 euros environ, le maître et ses élèves rigoureusement synchrones se mettent à notre disposition. L’exposition universelle a changé la donne. L’époque où le spectacle était gratuit pour les télévisions est révolue.
Un commissaire du peuple s’inquiète de l’agitation que notre présence occasionne. Il sermonne ses ouailles, dans un discours très solennel. En ces temps troublés par la floraison excessive de jasmin, il convient d’observer vis-à-vis des visiteurs étrangers la plus grande prudence.
Le maître de ballet hausse les épaules peu convaincu. Le soleil est déjà haut dans le ciel. Au côté des experts en taijiquan en représentation, des escouades amateurs s’adonnent à la gymnastique, au kung Fu, à l’éventail et au sabre.
A l’écart, une poupée rousse, prend la pose en faisant voleter sa robe pourpre légère. La boutique Channel est à deux pas. Lors de son inauguration, la circulation a été grandement perturbée par les va-et-vient des VVIP qui traversaient le large boulevard, escortés par un cordon de policiers en uniforme. Un camion poubelle signale sa présence en s’identifiant sur l’air de « Happy birthday to you ! ». Une tradition en Chine.
Emilie rêve des sujets qu’elle ne tournera sans doute jamais. Les tortures infligées aux dissidents. Les trafics d’organes prélevés sur des condamnés à mort. Un soldat croisé dans un autobus lui a raconté comment malgré l’importance du peloton d’exécution le supplicié bénéficiait quelquefois d’un misérable sursis. Personne ne voulait vraiment prendre la responsabilité de tuer, visant ostensiblement de travers, laissant le soin à son voisin d’assumer la sale besogne. Pour les femmes particulièrement, la mise à mort pouvait être interminable. Intégrer périodiquement ces escadrons de la mort constituait pourtant l’un des devoirs du soldat chinois. Celui de l’administration consistait à envoyer à la famille du défunt la facture de la balle.
Une partie de Pudong était encore en friches en 1991. A cet endroit enfle la City, fructifie le centre des affaires. La tour de perles, le monument érigé à la gloire du Shanghai moderne a des faux airs d’Atomium. Elle n’est plus orpheline. Elle a semé ses pousses de béton qui prospérant ont engendré une forêt de tours. Sur les passerelles qui les relient les unes aux autres, se pressent touristes venus de toutes les provinces et cadres cravatés. Le mot de passe est immuable. La fortune à tout prix.
Emilie a eu l’heureuse idée de nommer son chien, né l’année passée pendant le nouvel an chinois, » Bonne fortune ». Du coup tout le voisinage est aux petits soins pour le rejeton. On ne sait jamais, cela pourrait rapporter gros.
Nous rejoignons l’hôtel en empruntant le bac qui transporte d’une rive à l’autre de la rivière Huangpu, les piétons et motocyclettes. Question deux roues la ville a opté pour le tout électrique. Les vélos et mobylettes d’un autre âge menacent l’étourdi en glissant silencieusement sur l’asphalte. Dans ce cas précis, les pétarades ont laissé la place au concert d’avertisseurs.