Il y avait quelque chose de réjouissant à participer à Stade 2 hier. Bien qu'il n'y ait que des hommes présents autour de la table, les femmes insidieusement avaient pris le pouvoir.
Je me souviens des débuts de l'émission où sous la direction de Robert Chapatte, des joyeuses digressions de comptoir qui ne concernaient exclusivement que les joutes masculines . Tout juste concédait-on du bout des lèvres au sexe faible (!) quelques aptitudes en gymnastique ou en patinage.
Hier les femmes avaient annexé des territoires insoupçonnés.
Nadege Ait Ibrahim sacrée championne du monde de karaté enchantait Bercy. Voilà une athlète naguère en surpoids pondéral, au bord de la dépression qui réalisait son rêve le plus cher. Etre sacrée sous les yeux de son père et entraîneur. Il suffisait de lire la fierté dans les yeux du paternel pour savouer à sa juste valeur ce retour de l'enfer.
Pour illustrer la page rugby, Phillipe Laffon eut la belle idée de proposer une rediffusion du discours d'avant match improvisé dans l'intimité du vestiaire par Marie Alice Yahé la capitaine des bleues. Le quinze de France s'apprêtait à défier les USA et les paroles prononcées par Marie Alice ont touché au coeur ses partenaires. Il y était question de combat, du privilège inoui à porter le maillot, de ne pas blesser celles qui étaient exclues de la fête, de la volonté farouche enfin de ne rien céder face au staff. Cette direction invisible que l'on imaginait bien volontiers masculine.
Dans Stade 2 hier , si l'exploit des femmes jaillissait en pleine lumière, c'était à l'issue d'une lutte âpre, d'une vigilance de tous les instants.
Quelques heures auparavant dans un prêtoire, Isabelle et ses soeurs venaient de remporter un combat d'une toute autre envergure. Un professeur de tennis de renom ayant coaché tant d'adolescentes , était enfin condamné pour viol sur mineures. Huit ans de prison pour infiniment plus d'années d'omerta et de souffrance muette.
En trouvant le courage et la force pour libérer la parole et dénoncer ce crime odieux, ces championnes avaient été puiser au plus profond d'elles mêmes ce que la pratique sportive leur avait inculqué. L'abnégation, le courage et la rage face à l'adversité. Les instances sportives mûrées dans un mutisme prudent, durent enfin reconnaître leur victoire. Il suffisait d'observer le visage ravagé d'Isabelle jadis numéro 2 française pour imaginer à quel point son combat avait été douloureux.
Tandis que nous célébrions ces pionnières hier sur le plateau de Stade 2, je pensais à toutes celles qui n'avaient du renoncer. A toutes les douleurs muettes et anonymes. A toutes les victimes du machisme, de la bêtise et de l'indifférence des hommes .
Je pensais à Saamiya Yusuf Omar qui portait aux JO de Pékin le dossard 2895 et représentait son pays la Somalie , ravagé par la guerre civile. Saamiya avait 17 ans. En Chine, elle prit la dernière place de sa série du 200 mètres en athlétisme. Cette année des images d'agence la montrèrent en train de s'entraîner durement dans les rues poussiéreuses de Mogadiscio la capitale. Les rêves de Saamiya étaient ceux de toutes ses soeurs, dans un pays où le sport représente pour les femmes l'une des rares possibilité d'émancipation.
Saamiya a disparu en mer en tentant de rejoindre l'occident dans une embarcation de fortune. Elle est venue mourir au portes de l'Europe dans l'indifférence effrayante qui caractérise les peuples nantis.
Hier sur le plateau de Stade 2, j'ai fait un rêve. Que toutes les Nadege, les Marie Alice et les Isabelle qui donnent au sport un tel rayonnement dédient un jour leur combat victorieux à toutes les Saamiya du monde.