PSG:dans l'intimité du carré D

 

Dans une interview accordée au quotidien l’Equipe en mai 2001, le cinéaste Jean Luc Godard, grand passionné, regrettait l’interventionnisme toujours croissant de la télévision et du cinéma dans le traitement des évènements sportifs. 

» Le cinéma ment, pas le sport » Constatait amèrement en préambule le metteur en scène d'à bout de souffle. »Filmer le sport revient à montrer le travail dans la continuité. A la télé il n’y a plus de respect pour la chose filmée. Il est juste question de programme et de diffusion. »

 Au banc des accusés les réalisateurs qui s’appuyant sur un dispositif technique de plus en plus diversifié et performant, gomme les temps morts, scénarisent  leur propre vision d’un spectacle (Loupes, ralentis) .

 Jean Luc Godard n’était pas tendre non plus avec les commentateurs. » Le corps est l’image muette comme une tombe. Le commentateur en est le profanateur. Il nous interdit de vivre notre liberté de spectateur pourtant réduite. Son verdict est sans appel. «  La télévision filme la vedette et sa gloire, pas l’homme et sa misère. »

En ce vendredi de reprise de football, en matière de vedettes je n’avais que l’embarras du choix. Le PSG ayant eu la bonne idée d’avancer sa rencontre contre Ajaccio, je me rendis au Parc, les mains dans les poches, bien décidé à m’imprégner de l’évènement dans une approche « Godardienne » délestée des aboiements et artifices télévisuels. Je bénéficiais pour l’occasion grâce à la générosité d’une amie d’un sésame privilégié. Un accès VIP dans le sein du sein, dans le mystérieux carré D.

 Je rejoignais le Parc à pied  depuis le pont du Garigliano. Une mise en bouche nécessaire, une bonne heure et demie avant le coup d’envoi. L’avenue de Versailles bruissait déjà des allées et venues des supporters qui arboraient l’écharpe aux couleurs du club en signe de ralliement. Dans les cafés et les enseignes de restauration rapide, le match était déjà commencé. Ancelotti avait promis de mettre  d’entrée sur le pré,  sa grosse équipeFace à Moura, Ibra, Thiago S et M que pouvait raisonnablement espérer le plus petit budget de la ligue 1 ? Qui seulement en dehors de Mutu était capable, son bock de bière à la main, de citer ne serait ce qu’un seul joueur ajaccien ?

Les « Trois obus » affichaient complet. Je me fiais aux lueurs du stade, enjambant au milieu d’une marée humaine, le périphérique saturé. Je mis une bonne demi-heure à trouver l’entrée du fameux carré D. Aucun steward ne connaissait véritablement son existence. Je leur présentais l’invitation glissée dans une pochette cartonnée dactylographiée à mon nom. Ils me regardaient envieux et intrigués. Leur glossaire hiérarchique s’arrêtait à la tribune présidentielle Francis Borelli. Le dernier sollicité cependant m’indiqua le tapis rouge déroulé quelques mètres plus loin.

Un stadier pour l’heure en interdisait l’entrée. Nicolas Anelka au volant de son imposant 4x4 noir à vitres teintées tentait de se frayer un chemin jusqu’au parking intérieur. Lorsqu’ enfin je pus fouler le tapis, les portes s’ouvrirent toutes grandes devant moi. Je pénétrais au cœur du Parc escorté et couvé par une armée d’hôtesses aussi belles que souriantes. Bienvenue au PSG made in Qatar. Je franchissais les sas sans encombre, mon invitation à la main. Mon amie m’avait prévenu. Le Dress Code exigé  par les hôtes «  Chic et casual business » ne pouvait être transgressé. Veste, chemise et chaussures de ville de rigueur.

Je fus aimablement conduit dans un petit salon, une coupe de Champagne à la main. Le match n’avait pas encore commencé que je ressentais déjà la puissance de la machine. Qui aurait pu concurrencer sur l’avant match  la force de frappe du PSG ? Le Monaco princier  de la grande époque ? Et encore ?

Les encas  étoilés se succédaient à un rythme effréné. A chaque fois l’hôtesse son plateau à la main annonçait la couleur. » Sucette de chocolat au foie gras, gambas au gingembre, pain d’épice de saumon «  Que sais je encore. Grisé par la Champagne j’en oubliais toutes les préséances. Je me gavais comme un affamé. Une fois rassasié j’observais enfin l’assemblée. Les habitués du carré D. Marc Lavoine et ses enfants, Raymond Domenech, Hatem Ben Harfa, Luis Fernandez, Christian Jean Pierre, Lilian Thuram, Louis Bertignac, Pascal Boniface, Cécile de Menibus. Ma culture s’arrêtait là.  J’étais bien incapable de mettre un nom sur les visages des  chefs d’entreprise et des directeurs de cabinets dont des bribes de conversations  me parvenaient atténuées.

Jean Luc Godard  aurait-il apprécié cet apéritif dans le cocon du carré D ou aurait –il rejoint directement sa place réservée dans le stade ? L’hôtesse responsable du placement des invités me désigna ma place, à l’extrême gauche du rang 2. Juste à côté  de Robin Leproux président  du PSG entre 2009 et 2011.

L’ambiance dans le stade déjà plein monta brutalement d’un cran avec  l’annonce au micro de la  composition des équipes. Le speaker évacua prestement celle des visiteurs pour limiter au minimum les « Ho hisse enc… » Les dirigeants qataris si soucieux des apparences n’avaient à l’évidence pas encore trouvé le moyen de pacifier les virages. Au fait  où Godard aurait-il choisi de suivre la partie ?  Dans le carré D, aseptisé  ou mêlé au petit peuple de Paris dans la furie d’Auteuil ou de Boulogne ?

 A l’applaudimètre, Moura s’était déjà fait un prénom en plus du numéro 28 qui s’affichait au dos de son maillot. Il était le  Lucas annonciateur de prouesses qui enflait dans la gorge des supporters.

Le match débuta enfin. Quelques invités attardés troublèrent la quiétude du carré D.  Pour le reste, pas un mot, pas un murmure. L’assemblée était recueillie, presque absente. Les chants des virages meublaient les silences comme deux enceintes opportunément disposées au préalable.

Lucas Moura dès ses premières touches de balle enthousiasma les foules. Ce garçon avait du ballon. Il était altruiste de surcroit ne rechignait pas à défendre. Godard eut sans doute apprécié ce qui se déroulait hors du champ des caméras. Ibra à pas comptés, les mains sur les hanches. Les courses rectilignes de Jallet l’infatigable marathonien. Le replacement judicieux de Matuidi  épatant chien de garde. Seules manquaient cruellement les occasions de but. Les corses avaient dressés deux rideaux défensifs compacts.

En première période Thiago Motta d’une ouverture lumineuse dans l’axe démarqua Ibra. Mais le magicien en extension manqua le dernier geste.  Marc Lavoine  quitta subitement  la tribune pour accompagner son enfant aux toilettes. Une présentatrice de télévision  spécialisée dans le football assise juste devant moi se désintéressait complètement totalement de la rencontre, en grande conversation avec une amie et des correspondants invisibles qu’elle abreuvait en SMS.

Godard aurait-il toléré une telle indifférence devant l’homme et sa misère ?  A mes côtés, Leproux se mordit les lèvres. Il ne restait que quelques secondes à jouer. Thiago Motta en retard, essuyait ses crampons sur la cheville d’un ajaccien et récoltait un carton rouge. Le public grondait. L’arbitre renvoyait les joueurs au vestiaire et les VIP au salon cosy du carré D. A la reprise Thiago Silva le pilier de la défense dut sortir à son tour en boitant.

Sans Thiago, plus de hisse et ho. Les invités faisaient grises mines. Lucas  déclencha encore quelques hourras avant  de sortir à son tour ovationné par son nouveau public. Entre temps Ibra avait échoué par deux fois face à ce diable d’Ochoa le dernier rempart d’Ajaccio.

Les corses obtinrent à la fin ce qu’ils étaient venus chercher, le point du match nul. Leonardo la tête basse quitta précipitamment le carré D. Marc Lavoine et ses enfants l’avaient déjà précédé. Personne ne s’attarda vraiment dans le salon après la rencontre. C’était une reprise avortée.  Pas d’Ibra, pas de chocolat.

Seul Godard l'esthète  y aurait sans doute trouvé son compte, tant les héros nus,  en plein doute incarnaient  parfaitement toute la grandeur du sport.

Publié par pmontel / Catégories : Football