Live from Göteborg
Pascal Martinot Lagarde est un chic type, facétieux, ponctuel et délicat. Toujours partant pour mettre l’ambiance dans l’équipe, le spécialiste des haies hautes n’a pas manqué son rendez vous suédois. Médaillé de bronze comme l’année passée aux mondiaux indoor d’Istanbul avec en prime une spéciale dédicace à son copain Yves Niaré décédé récemment dans un accident de la circulation. Pascal avait inscrit le nom et le prénom du regretté lanceur de poids sur ses avant bras. Un clin d’œil digne et souriant. Je suis certain que Yves où qu’il se trouve aujourd’hui a apprécié le fond et la forme de l’hommage.
J’ai partagé le déjeuner, assis devant une portion de frites, de Benjamin Compaoré le triple sauteur prématurément éliminé du concours du triple saut. Marri et dubitatif. Comment expliquer l’inexplicable ? Benji tenait la grande forme. Tous les voyants étaient au vert. Il avait minutieusement repéré la piste la veille. Le matin à l’échauffement, les sensations étaient bonnes. Et patatras ! Au moment de s’élancer pour les qualifications, plus de gaz, d’énergie, de gaz, plus rien. 16m48 au final, un mètre en deçà de ses espérances. Cruelle désillusion pour celui qui a terminé 6ème de la grande finale des JO de Londres. Plus cruel encore lorsqu’il appris que son équimentier ne renouvèlerait pas son contrat sponsoring. « Peut on encore vivre de sa passion, lorsque l’on est triple sauteur ? » S’est-il interrogé les yeux dans le vague. Pour lui redonner le moral, on a parlé d’autres choses, de la petite fille que sa compagne Christine attend pour le mois de mai. Un joli mois pour espérer des jours meilleurs. Benjamin retrouva soudain le sourire à imaginer une complicité naissante à bercer sa fille dans la quiétude des nuits blanches.
On s’est tous levé pour Antoinette. Lorsqu’au bout d’une interminable ligne droite, la guerrière du CA Montreuil s’est affalée de tout son long sur la piste bleue en tartan. Maksimava, la biélorusse, sa principale adversaire avait déjà franchi la ligne depuis 5 secondes et 8 dixièmes. Une éternité en pentathlon. Il a fallu calculer et recalculer pour finalement déclarer Antoinette Nana Djimou championne d’Europe en salle pour 8 petits points magiques. A cet instant j’ai repensé aux 8 secondes qui avaient rendu fou de joie Greg Lemond à l’arrivée du Tour de France et terrassé Laurent Fignon . Les plus grands exploits sportifs se nourrissent de poussières, d’infimes différences, de minuscules particules qui grippent la machine où transportent les héros vers des contrées inaccessibles au commun des mortels. Qu’il était beau en tout cas le bonheur tout simple d’Antoinette qui conservait de haute lutte son titre remporté il y a deux années à Bercy !
Damien Inocencio doit être un homme heureux à Göteborg. L’ancien coach de Renaud Lavillenie éconduit sans ménagement après les jeux olympiques retrouve le plaisir de coacher au plus haut niveau. Sa protégée Angelica Bengtsson est la vitrine de ces championnats. La suède athlétique reporte sur son joli minois ses rêves de grandeur évanouie. Envolés Kluft, les sœur Kallur, Berqvist et Holm. Les temps sont durs à Göteborg comme l’hiver qui résiste. Reste Angelica, pas encore 20 ans, perchiste de talent qui partage son temps entre Karlskrona et Clermont Ferrand. Dans le jardin de Damien justement et de son sourire retrouvé.
Dans les coulisses enfin, confidences d’un entraîneur de renom. Les techniciens bénévoles sont dépendants au plan financier de la générosité des athlètes dont ils ont la charge. Inutile d’accabler davantage ceux et celles qui traînent la fâcheuse réputation d’avoir un hérisson dans leur porte-monnaie. Gros plan sur tous les autres, ceux qui mettent la main à la poche pour que leur coach les accompagne dans les grandes occasions. Ou mieux encore ceux qui se souviennent de ce qu’ils doivent à leur mentor une fois les succès engrangés. Cet entraîneur me raconta le jour où une grande championne française répondit à son invitation à dîner. Elle avait apporté pour la circonstance une boîte de chocolat. Son coach la remercia puis tout le monde passa à table. Le lendemain il découvrit dans la boîte une petite carte de remerciement, accompagné d’un chèque de 10000 euros. Les larmes aux yeux il s’empressa de téléphoner à l’athlète bien décidé à refuser ce cadeau royal. Mais au bout du fil se trouvait une reine. Elle sut trouver les arguments justes pour que le coach cantonné dans l'ombre soit dans la lumière de son coeur plus intimement associé à ses succès sur la piste.