Confidences contrastées
La 32ème aura été la bonne. Il aura fallu courir autant de finales européennes en salle sur 60 mètres pour qu’enfin un sprinteur français décoche la timbale. Jimmy Vicaut signe en 6 ‘’48 un exploit qui s’inscrit dans la légende de l’athlétisme. Une victoire auscultée à la photo finish, arrachée pour quelques millièmes de seconde à un adversaire valeureux, nommé Dasaolu. Meilleure marque mondiale à la clé. Il n’en fallait pas plus pour faire vaciller de son piédestal Christophe Lemaitre qui depuis Aix les Bains a reconnu avoir été titillé par la performance de Jimmy. L’émulation saine entre les deux champions est sans doute la meilleure chose qui pouvait arriver à l’athlétisme tricolore. En attendant l’été, il n’est pas inutile de remarquer que la réussite de Jimmy s’est construite dans le demi échec de sa demie finale. C’est dans ces instants de doute sublimé que l’on reconnaît la signature des plus grands.
Que pouvait faire de plus Eloyse Lesueur ? La championne d’Europe du saut en longueur en plein air a réalisé une série d’une qualité et d’une constance impressionnante, améliorant par trois fois son propre record de France pour le porter finalement à 6m90. La championne antillaise a du pourtant se contenter de l’argent devancé par la tenante du titre, Darya Klishina. La jolie poupée russe n’a eu besoin que d’un essai, son premier mesuré à 7m01 pour assommer le concours. Si Eloyse transfigurée depuis son titre en plein air a marqué les esprits. Darya et sa plastique parfaite postule pour de nouvelles couvertures en papier glacé. De la fusion de la glace et du feu a accouché le plus échevelé des concours.
La Suède a entamé patiemment sa reconstruction athlétique, grâce à Erika Jarder 3ème de la longueur et surtout à Abeba Aregawi qui a survolé le 1500 mètres. L’athlète avait pris la 5ème de l’épreuve aux JO de Londres sous les couleurs de son pays natal, l’Ethiopie. Une naturalisation express lui a permis d’étrenner avec brio son nouveau passeport devant un public tout acquis à sa cause. « Ce n’est pas une naturalisation de complaisance » A tenu à souligner Stéphane Diagana assis à mes côtés puisque Abeba est installée en Suède depuis 2009. On se souviendra longtemps en tout cas de la domination implacable de Aregawi qui a relégué toutes ses adversaires au rang de faire valoir. Dix secondes la séparaient à l’arrivée de sa dauphine, l’espagnole Macias. Cette domination écrasante suscite un sentiment étrange. Loin de moi l’intention de jeter la suspicion sur cette performance, mais à vaincre sans péril…Le sport émotion qui se nourrit de luttes indécises, de duels épiques reste de marbre face aux cavaliers seuls.
J’ai ce matin une pensée attristée pour Yohan Kowal avec qui j’ai partagé quelques jours d’intimité au Portugal à l’occasion de son stage de préparation terminal pour les championnats d’Europe. »Dégouté ! » C’était le qualificatif qui revenait en boucle dans la bouche du périgourdin sitôt la ligne d’arrivée du 3000 mètres franchie. Kowal avait beau faire et refaire la course dans sa tête, il ne comprenait pas pourquoi le destin malin s’acharnait à le laisser aux portes du podium. Pour nous spectateurs, c’était la faute à pas de chance. Pour ceux qui ont partagé ses souffrances et ses sacrifices à l’entraînement, un tel acharnement vire à la malédiction voire à l'injustice . Florian Carvalho arrivé juste derrière l'a bien compris qui a tenté vainement de le consoler, mettant entre parenthèse sa propre déception. Une noble attitude qui à elle seule résume ce à quoi peut ressembler la solidarité des demi fondeurs.
Look de surfeur et œil du tigre. Voilà ce qui pourrait définir Kevin Mayer notre nouvel hercule des épreuves combinées. Le surdoué pointe pour l’heure en 3ème position à la mi-temps de l’heptathlon en ayant battu pendant la première, quelques uns de ses records personnels. Romain Barras et avant lui, les Hernu les PLaziat, les Blondel, ont déniché leur digne successeur.
Belle initiative enfin de la part de l’organisation locale de délocaliser les cérémonies protocolaires de remise de médailles dans une halle attenante au lieu des épreuves. La compétition y gagne en rythme et en intensité. L’athlétisme reste une des très rares disciplines a voir son élan coupé par ses intrusions d’un autre âge. Les athlètes l’ont bien compris qui ont substitué à la statique du podium, la dynamique du drapeau. Pas une ligne d’arrivée franchie désormais sans qu’un athlète fraîchement médaillé ne s’empare du drapeau de son pays avant d'effectuer son tour d’honneur. Une célébration dynamique et festive qui n’asservit pas le reste de la compétition. Seuls les officiels compassés y trouveront sans doute à redire puisqu’on ne les voit plus à la télévision remettre bouquets et breloques. Qui s’en plaindra vraiment en dehors de leurs familles et de leurs proches ?