H rouge rang 20 place 29. Un autre regard sur PSG-Barca.
Loin de la quiétude du carré VIP, de l'expertise froide de la tribune de presse. Il est 19h30. Les lieux qui comptent sont encore déserts.
Le quart de virage dans lequel j’ai pris place, mon précieux sésame à la main se remplit peu à peu. Une ouvreuse aimable m’a guidé vers ma place « Pas de pourboire, merci c’est interdit » Le tout prononcé avec un joli sourire.
L’écran géant égrène le compte à rebours. Le virage d’Auteuil est déjà en transe. Les chants et les slogans se succèdent. Les bras se tendent en des postures synchrones. Boulogne en face fait écho. Les plus virulents charrient les supporters catalans cantonnés dans un bout de virage, protégés des quolibets par un immense filet.
Les yeux de mon voisin de gauche pétillent. « Le spectacle cette fois, sera peut-être au rendez-vous en tribunes. Enfin … » Soupire-t-il. « Pour le dernier PSG-OM en championnat, c’était sinistre. On se serait cru devant la télé. On entendait une mouche voler. »
Le Qatar a pacifié le Parc. On vient au stade en famille désormais. Un papa prend place la rangée juste devant moi accompagné de ses 4 enfants. 5, 7,9 et 13 ans, habillés PSG de pied en cape. Ils ont chaussé des lunettes » Collector » pour l’occasion. Un verre couleur PSG, l’autre Barca. Papa est fier de sa descendance. Il éprouve le besoin de s’épancher. » Je suis un fidèle du club .J’ai travaillé plusieurs années avec Jean Claude Darmon. Mais je ne suis pour rien dans la passion du foot qui cheville au corps mes gamins. Enfin si un peu tout de même. Ils doivent obligatoirement supporter le PSG. »
Le soleil de printemps tarde à se coucher. Je me demande si le papa accroc au bleu et rouge a acquitté seulement le prix affiché sur le billet. 80 euros. Ou s’il s’est approvisionné au marché noir et dépensé une fortune .
Le speaker entre en scène. Pas besoin de grand-chose pour chauffer ceux qui sont déjà portés à ébullition . » Ici c’est …Paris !! » Reprennent dix mille gorges déployées, comme s’il pouvait encore subsister un doute.
Il leur faut bien patienter, porter leur attention sur quelque chose, une fois le sandwich avalé, le verre de bière éclusé.
Les joueurs du Barca entrent en scène pour l’échauffement. Mon quart de virage gronde, siffle la meilleure équipe du monde et l’instant d’après immortalise sur les mobiles et tablettes Lionel Messi, le phénomène. Le petit bonhomme discret a choisi la bande d’herbe à l’opposé pour enchaîner des frappes de 30 mètres avec Daniel Alves comme sparing partenaire. La règle du jeu. Que la balle ne touche jamais terre. Impressionnant. Plus près de nous Xavi, Iniesta et Busquets enchaînent les passes courtes à une vitesse folle. De quoi rendre fou le plus aguerri des chiens de garde. Plus personne n’a envie de conspuer les extraterrestres.
Une rumeur folle se propage. Carlo Ancelotti a titularisé d’entrée David Beckham. Une femme se pâme tout près de moi. Elle se moque bien de l’avis des experts, de savoir s’il s’agit d’un choix sportif ou d’une finesse marketing.
Mon voisin éructe plus qu’il ne parle. Grâce à lui j’apprends à déplacer l’accent tonique, à étirer les patronymes. Sirigououou. Loucassss. Ibra seul a droit à une version raccourcie. L’attitude distante et altière du géant suédois force le respect à défaut d’engendrer l’empathie.
Un homme chuchote à l’oreille de sa femme. Un cours accéléré de ballon. »Messi est plus fort que Beckham ! » Il montre du doigt le magicien argentin sur la pelouse. »Ah oui, celui qui s’est tatoué le mollet. » Elle semble déçue de cette supériorité implacable, se console en observant avec sa paire de jumelles les sommités qui prennent place dans le carré VIP, rassasiés et affamés à la fois.
La rencontre peut débuter. Ibra hérite un peu par hasard d’un ballon sur notre aile. Son centre est repris par Lavezzi étrangement esseulé. La frappe de l'argentin trouve le montant du but de Valdes. Le virage s’enflamme. Mon voisin se prend la tête à deux mains. » Des occases comme cela, on en aura pas 10000 ! » Le PSG campe dans notre moitié de terrain. « Paris est magique ! » Tonne mon voisin de droite.
Piqué débordé concède un coup franc aux 20 mètres. » Beck ! » Se pourlèche par avance son admiratrice. Ibra s’empare prestement du ballon. » Bah tu m’avais dit que c’est lui qui… » Son compagnon tente de se justifier. » Tu comprends …si Ibra se sent bien ! »
Les promesses, c’est bien connu, ne valent que pour ceux qui y accordent du crédit. A peine le temps de méditer sur l'adage qu’Alves comme à l’échauffement trouve Messi démarqué. La reprise impeccable du ballon d’or fait mouche. Personne ne moufte. Un instant même, je crois avoir rêvé.
Balle au centre. Le but est bien validé. Mes voisins font la gueule. L’homme s’énerve maintenant à devoir tout expliciter. » Ton Beckham, c’est un vieillard. Il nous bouffe la feuille ! » Le plus jeune des gamins s’est assoupi. Un autre joue avec sa bouteille vide de soda. Les forces vives se délitent. La mauvaise foi prend le pouvoir. « Mais non, jamais de la vie il n’y a hors-jeu ! Justement j’ai bien fait attention à regarder le départ de l’action.
C’est sûr Paris ne mérite pas une telle messe. C’est la faute de l’arbitre qui se laisse abuser par la simulation des artistes. » Tu parles ils ne dépassent pas 1m20. Au moindre coup de vent ils s’écroulent. » En deuxième période l’absence de Messi ne fait pleurer personne. » Fabregas c’est bien aussi ! » Explique l’homme à sa femme.
Auteuil s’est éteint. Barcelone déroule avec Xavi en chef d’orchestre vers lequel transitent tous les ballons. Une tête rageuse de Thiago Silva, un ballon repris victorieusement par Ibra et le Parc se réveille à nouveau comme s’il sortait d’un mauvais rêve. La tribune vibre, et vacille comme si elle était l’épicentre d’un séisme.
Ibra c'est Zorro, et tout le monde se fout royalement qu’il soit hors-jeu ou non.
10 minutes plus tard Xavi transforme le pénalty qui redonne l’avantage aux catalans. Il devient la cible de toutes les amertumes. A chaque corner qu’il exécute un automate vociférant lève son majeur en le traitant de fils de p…. Est-ce que les mineurs écoutent ? Je n’ai pas l’outrecuidance de m’en entretenir avec leur père.
Un joueur espagnol se tord de douleur sur le sol. » A l’hôpital !! » Entonne cruellement le voisinage. Certains déjà dépités quittent déjà le navire.
Ceux-là peu inspirés ratent l’épilogue. Le coup d'audace de Matuidi qui échappe à la vigilance de Valdes. Pas le plus beau des buts mais pour sûr le plus jouissif et le plus fédérateur.
Oubliées toutes les amertumes, gommées toutes les frustrations, envolées la crise et la baisse pouvoir d’achat.
Les gosses hurlent les bras levés. L’homme étreint sa femme. Mon voisin se prosterne devant St Blaise. Paris est sur le toit du monde et le Barca n’a qu’à bien se tenir.
« Au fait pourquoi Messi est sorti à la mi-temps ? Il est Blessé ? « S'interrogent les plus prévoyants. Dans l’affirmative l’espoir le plus fou est permis.
Le speaker inspiré conclut avec brio la soirée. « Ici c’est… » « Pariiiiis ! » Lui répondent en hurlant mes voisins irradiés de bonheur, juste avant de reprendre le périph et le fil de leur existence.