Où se situe au juste le « Hors Zone » ?

Les Françaises du relais 4x100 PHOTO DPPI MEDIA STEPHANE KEMPINAIRE

Histoire de relais et de témoins à Moscou.

Histoire de filles dévastées et amères.

Le dernier week-end moscovite illustre à merveille la très vieille querelle de la forme et du fond. Sur le fond la disqualification du relais 4x100 mètres français ne souffre d’aucune discussion. Les moyens modernes de visionnage ne tolèrent guère l’a-peu-près. La transmission entre Ayodele Ikuesan et Myriam Soumare a été effectué « Hors zone ».

Sur la forme en revanche il y aurait tant à dire. Quatre filles transportées de bonheur, intercalées entre jamaïcaines et américaines, les reines incontestées du sprint. Un petit miracle à la française. Au diable les chronos personnels. Ce qui importe dans cet exercice de haute voltige, c’est la vitesse du témoin, ce cylindre que l’on se passe de mains en mains. Céline Distel la première à s’élancer s’est blessée dansson application à transmettre le précieux bâton . Longtemps après la course, les larmes de souffrance se mêlent toujours à celles de joie. Mais Céline n’en a cure. La voilà avec ses trois copines sur la deuxième marche du podium avec autour du cou une belle médaille d’argent qui vaut bien plus que de l’or. Tout est entériné. La page de l’exploit est déjà tournée.

Que s’est-il passé ensuite ? Pourquoi le juge arbitre a-t-il pris sur lui de visionner à nouveau la course après la remise des récompenses ? La démarche est rarissime. Aucun observateur ne conserve un tel zèle en mémoire. « Naturellement » stipule le règlement, le juge n’a pas à revenir sur sa décision lorsque la cérémonie protocolaire s’est déroulée.

Alors pourquoi a-t-il agi de manière surnaturelle ? A-t-il cédé en coulisses à l’amicale injonction de celles qui un peu trop tard avaient eu connaissance du hors zone ? Des américaines qui récupéraient l’argent, des anglaises qui accédaient au podium ?

Lorsquele fond interfère en catimini pour infléchir la forme, le souffle peut s’avérer dévastateur.Les françaises anéanties par tant de cruauté sont restées inconsolables, terrées dans leur chambre d’hôtel. Un peu naïvement, certaines ont même juré conserver leur breloque quoiqu’il advienne par la suite, comme si ce morceau de métal pouvait les réhabiliter un jour au palmarès.

Les relayeuses russesont-elles fait preuve d’autant de naïveté en s’embrassant à pleine bouche pour célébrer leur victoire dans le relais 4x400 mètres ? L’image a fait le tour du monde et l’étreinte fugitive entre Yulia Gushchina et Kseniya Ryzhova a prêté le flanc à bons nombres de supputations. Etait-ce une manière pour ces athlètes d’apporter leur soutien à la cause homosexuelle menacée par de nouvelles lois en vigueur dans le pays?

La sauteuse en hauteur Emma Green avait bien exprimé son soutien à sa façon en habillant ses ongles des couleurs de l’arc-en-ciel. Le soir du bisou, les relayeuses ont zappé la traditionnelle conférence de presse.

Nous avons été pour notre part les témoins d’une dispute assez véhémente entre les relayeuses et les journalistes de la télévision russe. Après quelques tractations houleuses elles ont même claqué la porte du studio. Sur le coup nous n’y avions pas prêté une attention particulière.

Le lendemain la vidéo du baiser controversé était censuré sur toutes les chaînes de télévision russes. Il fallut attendre plus de 48 heures pour qu’enfin l’une d’entre elles démente formellement toute interférencedans la politique intérieure de son pays par le truchement d’un communiqué. Comment aurait-il pu en être autrement ?

On imagine sans peine toutes les pressions qu’elles ont dû affronter. Leur plus grave  faute ?

D’avoir permis à la forme de prendre sa revanche sur le fond en laissant éclater au grand jour toute l’iniquité d’un telbond en arrière pour une société moderne.

Le soir tout près du Bolchoï, en pleincentre-ville de Moscou des couples hétéros s’étreignaient sans retenue sur les bancs publics, étalant leur bonheur et leur désir aux yeux de tous, enfants y compris.

Je repensais alors  à ce cylindre de métal, opportunément nommé témoin, que les russes et les françaises s’étaient transmis avec technique et  application.

Si pour Céline, Ayodele, Myriam et Stella il y aura ,j’en suis persuadé des jours meilleurs, je me demande si l’on reverrabientôt Yulia et Kseniya fouler une piste d’athlétisme avec le maillot russe sur les épaules.