Le dernier weekend sportif télévisuel illustre parfaitement les relations complexes qui régissent désormais les rapports entre les athlètes et le monde des médias chargés de relater et d’analyser leurs exploits.
L’actualité sportive déborde régulièrement du seul évènement consommé en direct. Pour les détenteurs des droits de diffusion, l’addition est de plus en plus salée. Il convient donc de rentabiliser au maximum l’investissement en imaginant des « before » et des « after », des avenants plus ou moins pertinents aux contrats paraphés.
Cet étirement démesuré du temps d’antenne est artificiel. Il se nourrit de rediffusion de séquences, de décryptage technique et de joutes verbales. En première ligne d’anciennes gloires du ballon et des journalistes de la presse écrite recyclés comme consultants. Une révolution dans le monde cathodique. Le consultant n’est plus là pour livrer une simple analyse technique. On exige de lui qu’il juge, note et condamne à l’occasion.L’implication peut encore plus agressive de la part de ceux qui privés de droits à l’évènement, ne peuvent pas s’offrir le luxe d’être totalement écartés du festin.
L’audience est amnésique. Elle se moque bien des usages ou de l’éthique. C’est un chiffre rond et froid qui tombe mécaniquement chaque matin à 9 heures et conditionne l’avenir à court terme d’un programme sportif et de ceux qui en vivent. Le droit de citation prévu par la loi limite le non détenteur de droit à se contenter d’une minute trente d’images. Un peu court pour captiver le chaland. D’où l’impérieuse nécessitéd’agrémenter cette frugale pitance de quelques piques bien senties, de quelques bonnes formules qui comme le ralenti d’un but seront susceptibles d’être compilées dans le zapping quotidien, véritable juge de paix cathodique, distributeur officiel des bons points.
Lizarazu, Fernandez, Courbis et Menes, mis en cause par Evra, sontdonc parfaitement en phase avec la logique économique de leursemployeurs respectifs. La durée d’une rencontre de football n’est plus circonscrite au temps passé sur la pelouse. Elle peut s’étaler sur une voire plusieurs soirées, qu’il convient d’alimenter par des polémiques plus ou moins stériles en attendant la rencontre à venir.
Evra de toute évidence a souffert psychologiquement de ce traitement de choc. Le dérapage du capitaine des bleus est tout aussi compréhensible que les attaques des anciennes gloires du ballon sommées de renoncer au traditionnel robinet d’eau tiède. Sans aspérité désormais point de salut.
Evra à l’occasion de son interview dans Téléfoot s’est contenu, dans un premier temps, avant de lâcher les chevaux et d’assumer ses propos devant l’inquiétude du journaliste de TF1, le diffuseur officiel de l’équipe de France de football. « Continue de tourner ! » S’est exclamé le joueur conscient de rejoindre à cet instant la table de ses contempteurs.
Avec le sens de la formule en prime, digne des réparties des « After » des spécialistes ou des experts, preuve que cette charge féroce avait été longuement ravalée par le défenseur international.
Si Evra risque aujourd’hui de payer l’addition c’est parce qu’il s’est permis de traverser brutalement le miroir, d’endosser un rôle pour lequel personne ne l’avait embauché. Le seul tort d’Evra aura donc été de ne pas rester à sa place et par cette erreur de placement de fournir encore plus de grain à moudre à ceux qui en font précisément leur fonds de commerce.
Cette faute de débutant le rend plus humain tout à coup, presque sympathique . Evra souffre tout simplement c’est une évidence. Certains argueront qu’il est payé pour cela. D’autres plus pragmatiques penseront qu’il doit jouer les barrages car son ressentiment est sans doute partagé par le groupe France et qu’il peut servir de détonateur sur le pré. Alors Evra héros incompris au même titre que Cantona qui avait traité en son temps son entraîneur de sac à merde ? Cantona puni puis réhabilité avec les honneurs . Il est vrai qu’à cette époque les « debrief » n’existaient pas.
Quoiqu’il en soit ce dérapage ne doit pas épargner les éditorialistes et les consultants d’une nécessaire auto critique. Jusqu’où dans la course à l’audience devons-nous forcer le trait, rechercher le buzz coûte que coûte,au risque de blesser ou pire de détruire un homme dont nous ignorons évidemment l’essentiel ?