Raison ou passion. Le dilemne du commentateur ?

Je ne connais pas personnellement Pierre Arditi, n’ai pas la moindre idée de l’estime dans laquelle il tient le journalisme et le monde du sport mais après avoir lu son interview donnée à « L’Express » daté du 19 mars je suis sûr d’une chose. De cet homme transpirent la passion et l’intelligence.

Lorsqu’il évoque son métier d’acteur, ses convictions d’homme, je ressens même au fond de moi une pointe sourde de jalousie. J’aurais tellement eu envie de prononcer certains de ses mots à sa place. Des phrases qui me brûlaient au profond mais qui n’ont jamais dépassé le bord de mes lèvres.

Si je me résous ,entre les guillemets qui suivent,  à une forme de plagiat c’est en espérant  que Pierre Arditi, plus prompt et plus habile,  m’ait seulement devancé, que j’aurais pu moi aussi avec un peu plus de persévérance et de talent  aboutir au même constat.

«  Je ne voudrais pas d’une carrière qui serait entachée du reniement de moi-même et qui m’empêcherait d’être l’acteur (le journaliste)  que je suis devenu. Car on n’est jamais que l’acteur de l’homme qu’on est. »


«  Sers-toi de toi pour aller vers un autre dont tu ignores tout et que tu connais pourtant par cœur puisque c’est toi. »

«  Le temps à soi, c’est du temps choisi. J’ai voulu être ce que je suis … Arpenter ce petit mètre qui domine le monde, que je prends dans mes bras. Ce monde qui me fait la grâce de m’écouter, de se laisser étreindre… Quand j’entre en scène (en commentaires) j’entre ne vie, je nais au monde. Là où la mort n’existe apparemment pas. C’est faux bien sûr et je le ressens quand mon corps se rappelle à moi «

« Je ne suis pas plus illégitime que n’importe qui. Je suis citoyen comme tout le monde avec des contradictions comme tout le monde… En scène je suis invulnérable. Quand je sors, c’est différent. Je suis à la fois costaud et infiniment fragile. A force de gratter ce que je suis, de me protéger, les parois se sont rétrécies. »

«  La seule chose qui m’atteint c’est de ne pas répondre à ce que je suis censé faire. Je cours depuis toujours après l’homme que je voudrais être. Quelquefois, j’arrive à sa hauteur. Il me regarde, sourit et me laisse sur place. Je voulais croire qu’avec le temps on resterait lui et moi plus longtemps côte à côte. Ce n’est malheureusement pas le cas. »

Commenter un sport en direct c’est quelque part se positionner en acteur face à un micro et une caméra. Au fur et à mesure que s’impose le scénario à chaque fois original, il convient d’improviser, d’accompagner et de cerner en professionnel au mieux les temps forts et faibles de la compétition .A un moment donné, emporté par la passion, terrassé par l’émotion que seul l’exploit en direct  suscite, le commentateur se délie du contrat raisonnable.

Il n’exerce plus son métier au sens strict du terme. Il devient acteur malgré lui et s’expose justement aux critiques de ceux qui ignorent tout de  ce mode de fonctionnement. Qu’ils s’expriment  dans les forums adéquats, pour la plupart sous couvert d’anonymat n’ajoute rien à l’affaire. Ils payent leur redevance et s’arrogent le droit absolu de disséquer les errements vis-à-vis d’ une fonction présupposée, comme si à cet instant on pouvait encore parler de métier.

Le grand public, moins au fait des statistiques et des convenances, comprend parfaitement qu’il s’agit d’un instant de grâce où les codes en vigueur peuvent être transgressés. A cet instant cette frange de public, émue,  n’exige des acteurs que l’honnêteté. Le grand public abhorre les tricheurs.


Il est facile de la même façon de critiquer l’ athlète qui en bout de piste ou sur le podium n’adopte pas l’attitude adéquate, tout en passant sous silence que c’est justement sa passion chevillée au corps qui lui permet de se transcender pour aller battre des records.

La passion et la raison. Doit-on les opposer, s’excluent-elles systématiquement ? Peut- on dans notre société encore cultiver nos différences, se nourrir de nos émotions ? Jouir d’une Marseillaise sans nécessairement remuer les lèvres ?