Ce papier a été rédigé le 17 mai dernier. Si je ne le mets en ligne qu'aujourd'hui c'est parce que j'ai voulu croire jusqu'au bout qu'il ne s'agissait qu'une méchante rumeur et qu'il était important avant toute chose de protéger les athlètes et le sport incriminé . L'actualité de ce jour, semble corroborer la tricherie. Voici donc la petite chronique d'une rencontre truquée ordinaire.
Dans un bar parisien , un colosse discute avec le patron. Une blonde au physique de mannequin quelques minutes plus tard, dépose une enveloppe sur le comptoir. Le patron compte discrètement les billets de banque qu’elle contient. 4500 euros en liquide. Le manège n’aura duré que quelques secondes mais n’aura pas échappé aux serveurs qui trompent leur ennui en ce samedi après midi.
Il est 14 heures. Le coup de feu est derrière eux. Intrigués, les employés du bar viennent aux nouvelles. Les visages du colosse et de la blonde ne leur sont pas étrangers. Le patron après quelques hésitations finit par lâcher le morceau. La jolie blonde a parié sur le score à la pause d’une rencontre ordinaire de handball.
Montpellier déjà sacré champion de France rend en fin d’après midi visite au club de Cesson Sévigné près de Rennes. Les leaders du championnat se déplacent en Bretagne sans certains de leurs cadres blessés ou laissés au repos. Une rencontre sans pression ni enjeu sportif véritable. D’autres échéances attendent les spécialistes de la petite balle. Un déplacement à St Raphael, 3ème du classement et bien sûr les JO de Londres avec un titre olympique à défendre.
Les serveurs deviennent insistants, mis en appétit par une rapide recherche sur le net. Le patron céde peu à peu. Le colosse est l'un des joueurs cadres de Montpellier. La jeune femme blonde est sa compagne, animatrice sur une chaîne de la TNT. Elle a misé la totalité de son pactole sur Cesson rentré au vestiaire avec au moins un but d’avance sur Montpellier à la mi-temps.
Les héraultais ont jusqu’ici accompli un parcours sans tâches. Une défaite et un nul seulement concédés pour 21 victoires. Cesson de son côté peine à se maintenir parmi l’élite.
La cote à la mi-temps calculée par les traders de la FDJ est fixée à 2,9 en cas d’exploit des bretons. Soit un gain net d’impôts de 13050 euros pour une mise initiale de 4500 euros.
Le sang des serveurs ne fait qu’un tour. Pas question pour eux de laisser passer pareille aubaine. Ils vident leurs porte-feuilles et demandent au patron de suivre l’inspiration de la jolie blonde en misant à leur tour la totalité de la somme collectée. Hélas pour eux, la FDJ alerté par des paris très supérieurs à la moyenne des enjeux constatés pour ce type de rencontre a bloqué mécaniquement l’accés aux paris.
Les serveurs ressasent leur amertume et finissent par confier leur désarroi à un fidèle client du bar. Celui-ci outré de la tournure que prend le sport professionnel m’alerte par mail. Il ne me connait pas personnellement mais m’accorde un certain crédit au plan de l’éthique. Une telle attention me flatte. Il m’adresse deux mails. Le premier en début d’après midi dans lequel il me relate la mystification constatée par les serveurs, trois bonnes heures avant le coup d’envoi de la rencontre. Le second pour constater le score à la pause et conforter ses certitudes. Le sport de haut niveau est gravement menacé de gangrène, y compris pour ce qui concerne des disciplines dites mineures.
Mon informateur estime avoir fait son devoir et prend ses distances lorsque j’évoque avec lui au téléphone les suites médiatiques à donner à l’affaire. Pas question que les serveurs témoignent face caméra (Ils ne sont pas des balances) et lui pas davantage, compte tenu de sa position de témoin indirect. D’accord pour allumer la mèche mais pas pour assumer les conséquences de la déflagration.
Un coup de téléphone le lundi suivant me confirme que l’alerte a bien été donnée par la FDJ. Mon contact assez bavard au début, se rétracte prudemment par la suite. Les suspiscions concernant Montpellier ne sont pas nouvelles. Mais cette fois, le poisson est trop gros pour un simple faiseur de cote. La sécurité de la FDJ prendra le relais et ne manquera pas de prendre contact avec moi, m’assure t-il après en avoir référé à sa hiérarchie.. Evidemment il n’en sera rien. Les journalistes alléchés par ces brouets saumâtres sont réputés pour être des fouille- merde en aucun cas des alliés.
Thierry Vildary, le confrère avec lesquel je compte mener l’enquête a plus de chance que moi. Il a pu apprendre qu’une autre somme de 3900 euros a été misée sur le même match, à deux rues du débit incriminé. D’autres enjeux du même ordre à Montpellier aussi ont été enregistrés. L’étau se resserre. Je pense à tous les blessés dispensés de Bretagne.
Thierry décide de se rendre le mercredi à St Raphael où le leader héraultais est en déplacement. Les dirigeants montpelliérains sont furieux. Une dépêche AFP a repris à son compte des fuites émanant probablement de la FDJ. Le match de football de ligue 2 Lens –Istres et le Cesson Montpellier de handball ont fait l’objet de paris aux montants anormaux. Une enquête est dilligentée.
Patrice Canayer l’entraineur de Montpellier et Remy Levy le président, avocat dans le civil promettent des poursuites judicaires a tous ceux qui s’aviseraient de propager la vilaine rumeur. La période est sensible. Monpellier est à la, recherche de nouveaux sponsors pour finaliser son budget pour la saison prochaine. L’affaire qui risque de ternir l’image du club tombe au plus mauvais moment.
L’accueil sur la cote d’Azur est toutefois presque chaleureux. Les portes contrairement au football, rompu à l’omerta, restent entrouvertes. Thierry reste persuadé que 80 % de l’équipe ignore tout de ce qui s’est tramé en coulisses. Le handball discipline universitaire par excellence est victime du succés conjugué et durable des barjots, des bronzés et des experts.Une médiatisation trop rapide.
La césure est palpable entre ce sport qui hésite encore entre les sunlights et les gymnases. Entre l’appât du gain immédiat et la naiveté culturelle d’un amateurisme désuet.
Le vendredi, une enquête préliminaire commence officiellement. Le commissaire se propose de convoquer pour la semaine suivante le patron du bar parisien . Pour verser les gains, le mandant de la FDJ a l’obligation d’exiger une pièce d’identité de l’heureux parieur. Dans le cas inverse, il s’expose à des sanctions financières. Pourquoi le responsable du bar aurait-il intérêt à couvrir le couple parieur, aisément identifiable car largement exposé sur internet et dans les pages des magazines people ?
Thierry propose d’attendre la progression de l’enquête avant de sortir notre scoop. Il dispose déjà des témoignages en caméra cachée du voisin et du patron de bar qui racontent par le menu les périgrinations des apprentis truands. Avant de quitter St Raphael, il a pu en outre fugitivement tourner les blessés à l’entraînement.
« Les joueurs sont avant tout des joueurs ! » S’est exclamée l’attachée de presse du club de St Raphael, sans que ces propos ne se résument à une Lapalissade. Certains joueurs en particulier parient sur tout et sur rien et souvent de grosses sommes.
Cela pourrait prêter à sourire si d’aucuns n’avaient franchi la ligne jaune, celle qui risque de conduire les contrevenants en prison.
A moins de 100 jours des jeux de Londres le handball français et le mouvement olympique dans son ensemble, se seraient volontiers passé d’un tel dérapage.