J’étais présent ce vendredi soir à Monaco. En qualité de speaker en charge de mettre l’ambiance dans un stade Louis II copieusement garni. Le ciel était dégagé, le vent était tombé. Tout était donc réuni pour que l’on assiste à l’une de ces soirées de gala au cours desquelles les athlètes déjà affûtés outrepassent leurs limites et dispensent par leur art un peu de ce bonheur, que les gens ordinaires que nous sommes, leur envient tant.
Le 1500 mètres touchait à sa fin. Silas Kiplagat les bras levés au ciel savourait son grand bonheur. Le prodige kenyan venait d’établir avec une belle autorité, le meilleur chrono de l’année sur la distance. Côté français, Florian Carvalho, fraîchement sacré champion d’Europe espoirs obtenait avec brio son ticket pour Daegu, Medhi Baala dans sa foulée.
Medhi pour sa rentrée réalisait une performance d’envergure qui récompensait son talent et son abnégation à l’entraînement. Mahiedine Mekhissi coupait peu après la ligne en un peu plus de 3’35’’, un temps réconfortant pour le spécialiste du steeple. Je scrutai l’écran géant dans l’attente des résultats officiels quand une bagarre éclata sur la ligne d’arrivée.
Une rixe invraisemblable opposait deux copains, deux athlètes d’exception, deux français. Je regardai la scène incrédule comme dans un rêve éveillé. Comme dans le pire de mes cauchemars plutôt. Tout se dissipa très vite heureusement grâce à l’intervention d’un confrère de Canal mais le mal était fait. En direct live et puis dans quelques secondes, en boucle sur la toile, reproduit à l’infini.
Je pensai à la bévue des footballeurs, à la honte ressentie après Knysna, à la fierté qui m’avait envahi après le triomphe de nos athlètes à Barcelone. Tout s’écroulait dans seul coup. C’était comme si en plus de se mettre en grève, Ribery et Gourcuff en étaient venus aux mains face caméra.
Je ne sais pas vraiment ce qui s’est passé à Monaco après en zone mixte et dans les vestiaires. Les courses et les performances exceptionnelles m’accaparèrent sur la piste. Et puis l’amertume aux lèvres, je me trouvais dans état second. Il paraît que Ghani Yalouz, le DTN est prestement intervenu pour que les belligérants s’excusent à l’antenne. J’imagine à quel point Ghani, humaniste dans l’âme, a du se sentir meurtri au fond de lui. Nous partageons tous les deux l’amour inconditionnel des athlètes. L’amour des hommes en vérité.
Le soir vers minuit, j’ai pu converser avec Mahiedine. Il était sincèrement désolé, semblait enfin prendre toute la mesure de ce dérapage inouï. Je sais que Medhi dans sa chambre partageait largement son désarroi, prenant enfin conscience du formidable gâchis. Des traces profondes qui saliraient pendant longtemps la discipline. Et pourtant pour les côtoyer tous les deux, je puis vous affirmer que ce ne sont pas ni des voyous ou des irascibles personnages. Ce sont juste des formules 1 réglées avec un soin infini, pour le moment venu aller chercher le titre ou la médaille. Le problème est que leur entourage (Entraîneurs, médecins, kinés, agents, sponsors, dirigeants) privilégie presque exclusivement la préparation physique.
Or les défaillances inhérentes au quotidien des champions sont dues autant à des blessures du corps que de l’âme. Et à trop négliger ces dernières, on s’expose à des drames. Quels contentieux existaient réellement entre les deux hommes ? Etaient-ils totalement maîtres de leurs actes où simplement manipulés par quelques faux amis ?
J’ai toujours pensé qu’il fallait que les instances fédérales se soucient du psychologique autant que du physique, ne serait ce que pour permettre à l’athlète d’envisager une après carrière plus sereine. Appendre au champion à devenir un homme, cela devrait être l’une des missions essentielles du sport de haut niveau, une véritable mission de service public. Cet aspect est hélas le plus souvent sacrifié sur l’autel de la chasse effrénée aux breloques.
Mais dans ce cas précis, il était déjà trop tard. Le mal était fait.
Alors que peut-on attendre aujourd’hui de la part de la FFA ? De la rigueur impérativement ! Un rappel ferme aux droits et aux devoirs du champion. Au titre de l’exemplarité, une sanction s’impose malgré toutes les circonstances atténuantes évoquées un peu plus haut. Il en va de l’avenir et de la crédibilité de l’athlétisme.
Les enfants qui deviendront un jour des athlètes ont besoin de savoir qu’il existe des lignes jaunes que personne, même les plus grands, n’ont le droit de franchir. Les championnats du monde de Daegu se profilent à l’horizon. Le monde de l’athlétisme a besoin d’un signal fort pour ne pas tomber dans les travers du football notamment. Une suspension des deux belligérants pour ce grand rendez vous serait, à mon sens, à la fois douloureuse et salutaire.