Shiwen YE est la première héroine de ces championnats du monde de natation. Sa brillante victoire sur 200 mètres 4 nages à tout juste 15 ans symbolise parfaitement ce que la Chine escompte comme retombées de la part de ses champions médaillés dans le bassin .
Partout dans la ville, il s'agit de promouvoir l'image d'une nation jeune et conquérante, en avance sur le reste du monde. Le Shanghai de tous les records surfe encore sur la vague de l'exposition universelle qui s'est achevée l'année passée, sans pitié ni états d'âme.
La ville se terre, noyée sous un épais voile de brume. Le toit des immeubles disparait sous un ciel épais et laiteux. Une chaleur moite nous accable de bon matin. Pas moyen de connaître le taux exact de pollution atmosphérique. La municipalité qui prône une politique post industrielle, a pourtant décidé de montrer l’exemple dans ce domaine. « Better city, better life ». L’écho du slogan de l’exposition universelle se décline encore sur les murs de la ville. Priorité désormais aux industries de service.
Six mois ont passé, six mois qui ont pesé sur le devenir des shanghaiens. Kilomètres d’autoroutes, rénovation des lignes de métro et aéroport flambant neuf. Bien que la fête ait pris fin officiellement en novembre 2010, le pavillon chinois, qui dominait tous les autres par sa taille, témoigne toujours de la modernité et de la puissance économique du pays. C’est un imposant bâtiment rouge sang de 60 mètres de haut qui reste ouvert au public. 13000 visiteurs s’y pressent chaque jour. Le reste du site (Soit deux fois la superficie de la principauté de Monaco) est à l’abandon. La quasi -totalité des pavillons étrangers a été démolie. Un bâtiment rectangulaire sans charme, résiste en sursis, au milieu d’un no man’s land de poussière. Le drapeau français flotte en façade. Les autorités chinoises auraient décidé de l’épargner au prétexte que la « Maison de France » parrainée par Alain Delon en personne aurait séduit durant l’exposition un nombre record de visiteurs.
Pour ce qui est de l’exploitation future de cet immense domaine situé en plein centre de la mégalopole, le mystère reste entier. On peut aisément imaginer la bataille archarnée qui se déroule en coulisses entre les promoteurs concernant l’attribution des lots. Quelque soit l’optique choisie, la situation ne pourra être pire que celle qui prévalait avant l’expo, lorsque les industries très polluantes accaparaient l’espace.
« Better, better. » Le mieux s’insinue comme un leitmotiv. Depuis la cabine de pilotage du Maglev, le train supersonique qui relie la périphérie de Shanghai à l’aéroport de Pudong, la conductrice nous toise d’un air hautain. Perché sur des talons hauts, les jambes moulées dans un jean près du corps, cette beauté fatale incarne la réussite insolente de celle qui a préféré céder au vertige de la vitesse plutôt qu’à celui du mannequinat. Sa moue est catégorique. Pas question de s’incruster dans sa cabine de pilotage lorsque le bolide montera en puissance. On se replie dans un compartiment de seconde où un groupe de médecins et d’infirmières originaires de Canton découvre avec ravissement ce que la technologie de pointe peut réaliser dans sa conquête du dérisoire. La démonstration est implacable. 30 km en un peu plus de 7 minutes chrono avec une pointe enregistrée à 431 km heure. Et qu’importe si le concepteur du monstre s’appelle Siemens et soit de nationalité allemande. L’exploit a lieu au quotidien en Chine. Mais le plus émouvant se situe ailleurs lorsque nos carabins nous font partager leur joie et leur fierté de touristes ébahis, appareils photos en bandoulière. Comme des enfants nous nous retrouvons à poser en leur compagnie tandis que la bête humaine décélère, dans un immense éclat de rire contagieux. A une exception notable toutefois. L’hôtesse d’accueil semble consternée. Quelle pitoyable image de la Chine donnent ces chinois inconscients et hystériques !
L’homme que nous rencontrons peu après dans un des quartiers condamnés à la démolition, en centre ville, fait montre d’une grande dignité. La voracité de Shanghai multiplie les victimes collatérales. Si sa maison tient encore, c’est pour quelques jours tout au plus. Un signe chinois (Phonétiquement Chai) peint en rouge sur le mur d’enceinte qui donne sur la rue, symbolise le début de son cauchemar. Une trace indélébile comme une lèpre insidieuse qui a déjà eu raison de toutes les maisons du voisinage. Au milieu des gravats, gisent des effets personnels, un matelas, des bouts de tissu. On se croirait dans une ville bombardée avec obstination par une armée invisible. La vie et l’histoire de tout un quartier se sont brutalement arrêtées pour permettre à d’autres de reconstruire et de prospérer.
Cet homme résigné qui s’attarde sur le pas de sa porte sait bien qu’il lui faudra bientôt quitter la place sans espérer des indemnités compensatoires ou seulement l’assurance d’être relogé. Il hausse les épaules, interroge Emilie « Est ce que vous pouvez faire quelque chose pour nous ? » Devant notre incapacité à lui répondre, il s’enferme dans le réduit sombre qui constitue la pièce principale de son habitation.
Shanghai accélère sa mue phénoménale sans ménagement pour les plus faibles. Une plaisanterie court à ce sujet. Le pays à la croissance effrénée est devenue « Chai ..Na « Le pays de la démolition.