Les parfums français de Shanghai

La France qui totalise déjà 7 médailles a d'ores accompli son plus brillant mondial. Camille Lacourt sur 50 mètres dos et le relais masculin 4x4 nages corseront sans nul doute d'ici dimanche encore un peu plus  l'addition.

A un an des JO de Londres la France a réussi son incroyable pari. Devenir aux côtés des USA, de l'Australie et de la Chine l'une des nations incontournables de la natation mondiale. Deux hommes sont à la base de ce tour de force, tout simplement inimaginable il ya quelques années. Francis Luyce, ancien nageur au long cours, devenu président de la fédération française et Claude Fauquet l'ancien DTN. Tous les deux ont compris que cette résurrection ne pourrait être indolore. Ils ont  su imposer à leurs athlètes des minima drastiques pour accéder aux grands championnats , se sont montrés impitoyables lorsque certaines de leurs stars échouèrent au pied de ces murailles pour une misère.

Ces mêmes étoiles leur sont aujourd'hui reconnaissantes d'avoir su remettre de l'ordre dans la piscine, d'avoir su bonifier un savoir faire très français.

Losrque plus tard l'on évoquera  Shanghai, il sera forcément question de ce parfum subtil qui flotte le long des rues bordées de platanes. De cette fameuse concession française qui nous promet des lendemains qui chantent...Des Marseillaises.

Le matin, un taxi me dépose au marché aux tissus  à l’angle de Dongmen et de Zhang Hua. Pour 880 rmb, un tailleur, au regard impénétrable, son mètre de couture à la main,  s’exprime en anglais  à mots comptés. J’opte pour un tissu noir catalogué haut de gamme. Mon interlocuteur au visage triste, les yeux creusés par les cernes, me promet un costume sur mesure pour le mardi d’après. Ma tentative pour faire baisser le prix a peu de chances de  l’émouvoir. L’endroit est essentiellement fréquenté par les touristes et les expatriés. Tout ce que Shanghai compte d’artistes de la confection est regroupé là sur plusieurs niveaux. Quant aux petites mains, elles demeurent invisibles.Durant la négociation, le ton feutré de mise, détonne avec l’effervescence qui règne  à l’extérieur de l’établissement, autour  de la rue de la «  Bouffe toute proche ».

Les shanghaiens envahissent  en famille les petites échoppes de la gastronomie populaire  de plein air. En vedette le « Tofu qui pue ou Stincky  tofu » mérite bien son appellation. C’est une infection. Les enfants se promènent avec à la bouche la gourmandise du samedi, un baton de fruits frais recouverts d’une épaisse couche de sucre caramélisé. Les chinois d’une gargote à l’autre s’interpellent bruyamment, se collent les uns aux autres sans la moindre trace  d’animosité ni même d’agressivité. Un peintre, cerné de près, acculé  derrière son chevalet reste parfaitement zen et concentré sur sa toile.

Je prends conscience à quel point les gens en Europe ont perdu l’habitude de se frôler. Tout contact est vécu désormais comme une agression. Ici les gens se pressent les uns contre les autres, se mêlent sans vergogne aux conversations des  étrangers,  se bousculent sans conséquence.

Les shanghaiens utilisent pour communiquer un dialecte qui n’a rien a à voir avec le mandarin traditionnel. Ils ont quelques difficultés à prononcer le «  Che » qu’ils escamotent par un  « Se » phonétique.  Du coup, notre sempiternel « salut ! » les fait pouffer de rire, car dans le  mandarin matiné de leur accent, cela signifie quelque chose comme  «  Ane débile «  

La politique concernant le regroupement des familles peut s’avérer particulièrement cruelle. Les migrants chassés des campagnes vers la ville sont ainsi contraints de confier l’éducation de  leurs  enfants  aux grands parents. Ils ne rendent visite à leur progéniture qu’une seule fois dans l’année à l’occasion du nouvel an chinois. C’est la condition   pour que leurs gamins puissent  bénéficier des 9 années d’école gratuite. La libre circulation des travailleurs à l’intérieur du pays est  rigoureusement contrôlée pour ce qui est  en tout cas de la main d’œuvre la moins qualifiée.

Un passeport et un visa sont nécessaires pour migrer vers une province susceptible de fournir un emploi. Les enfants devenus importuns,  de la misère et de la malchance,  sont communément appelés  « Les laissés derrière » sans que cela n’émeuve grand monde. 

Pendant que je commande une soupe à la mode ouigour pour la modique somme de 7 rmb soit un peu moins d’un euro, des femmes mules aux pieds déambulent en pyjama C’est paraît-il une tradition à Shanghai de s’accoutrer de la sorte. Le pyjama importé d’Europe dans les années 30 représentait un signe extérieur de richesse

Une autre femme âgée, sans doute en mal d’affection,  promène son caniche dans une poussette. Pour les animaux de compagnie, il  a aussi fallu réguler la tendance. Le gouvernement a fait récemment voter une loi qui impose à chaque famille, la politique du chien unique.

Pas moyen de héler un taxi pour regagner l’hôtel. Je me résigne à emprunter une cariole tractée par une pétrolette hors d’âge,  pilotée par un vénérable shanghaien qui a largement dépassé l’âge de la retraite. La cigarette au bec, les mains protégées par des gants en laine, il se faufile tant bien que mal  dans le trafic. Assis dans le sens contraire de la circulation je lui confie mon existence le temps du trajet. Pas de ceinture de sécurité ni même de possibilité de s’agripper si par malheur… Avec pour couronner le tout, une odeur âcre d’essence frelatée qui me donne envie de vomir.

Pour chasser mes idées noires, je me concentre sur mes camarades en deux roues qui m’escortent malgré eux. Ils m’adressent tous un petit geste de la main, un sourire franc ou plus furtif. La meilleure façon de balayer  mon appréhension et mon mal de cœur. Je me sens étrangement  bien dans ce Shanghai populaire,  bouillonnant et tolérant.

Les platanes de l’ancienne avenue Joffre sont les témoins silencieux d’une époque révolue. Un siècle de présence française, entre 1849 et 1946, qui résiste à l’obsession « Hype » qui métamorphose  Shanghai.  Le quartier de l’ancienne concession française,  et ses immeubles aux façades en briques rouges, a été rénové  il y a quelques années. Il jouit aujourd’hui  d’une flatteuse réputation, confortée par le succès de l’exposition universelle.

C’est  désormais un haut lieu branché et touristique. Un petit paradis pour ceux qui n’y regardent pas de trop près et se contentent de lécher les vitrines des boutiques fashion, alignées à l’ombre bienveillante des platanes. La cité Bourgogne construite en  1930 devait à l’origine héberger  75 familles. Elles sont aujourd’hui  plus de 400  à s’entasser dans des logements borgnes, crasseux et minuscules. Les Yu (Prononcez Roux) disposent dans la cité d’une pièce unique située au premier étage d’un immeuble vétuste auquel on accède par un escalier de bois pentu aux marches inégales. Les Yu se partagent à 6, environ  20 mètres carrés, sans compter le palier où est installé un minuscule lavabo. Contre 1300 rmb mensuels les Yu (parents, grands-parents et enfants) vivent dans une effroyable promiscuité avec 6 autres familles logées dans les mêmes conditions de précarité.  Pas de toilettes mais un pot de chambre que l’on vide tous les matins.

J’ai l’impression de revoir le modeste appartement de ma grand-mère, rue du faubourg St Denis, dans le Paris populaire des années 50.  Monsieur  Yu, ouvrier modeste du bâtiment, malgré ce loyer exorbitant se déclare heureux d’occuper les lieux. Habiter dans la concession française est la garantie pour sa famille  de ne pas être un jour être expulsé par les autorités soucieuses de livrer le centre ville aux promoteurs.

Longtemps après la visite je garde en mémoire le souvenir de Monsieur Yu, fumant pensivement devant la porte de l’immeuble. De  son  visage grave et  buriné se dégage  une incroyable sérénité. La cigarette collé aux lèvres,  le bas de son menton dissimulé sous  les volutes  de fumée, Monsieur Yu me fait penser à Tony Leung dans l’inoubliable «  In the mood for love. »