Les coureurs du Tour de France seraient bien inspirés d’avoir ce qu’Antoine Blondin appelait « de la Suisse dans les idées ». De Berne aux lacs de Finaut-Emosson, on se prend à rêver d’un temps révolu où les attaquants attaquaient ! C’est ainsi que revient au galop le souvenir de celui qu’on appelait l’homme-cheval, Ferdi Kübler, 96 ans aujourd’hui, doyen vivant et bien vivant des vainqueurs de la Grande Boucle. Le héros du Tour 1950 ne faisait pas dans la dentelle quand il passait la surmultipliée. Le « Grand fusil » Raphaël Géminiani affirme même qu’il hennissait au moment de lancer ses folles offensives. Certaines allaient au bout et il décrochait le jaune ou l’arc-en-ciel. D’autres échouaient et il se retrouvait à la dérive sur la route, zigzagant et délirant, comme lors de cette ascension épique du Ventoux de juillet 1955. « Attention, avait prévenu Gem, le Ventoux n’est pas un col comme les autres… ». Réponse du baroudeur : « Ferdi pas coureur comme les autres »… La défaillance le guettait quelques kilomètres plus haut, mais le grand Kübler ne manquait pas de panache. Comme Hugo Koblet qui, l’année suivante, en 1951, marqua encore pour la Suisse, lui offrant un deuxième Tour de France. Celui qu’on appelait le « pédaleur de charme » semblait ne pas forcer. Il volait littéralement, même quand il distançait les Coppi, Bartali et Bobet de plusieurs minutes, sur la route surchauffée entre Brive et Agen. Il déclenchait son chrono en coupant la ligne d’arrivée, se recoiffait avec un peigne qu’il sortait de sa poche. Une autre époque, on vous dit !
Eric Fottorino