Le Tour fini, voici qu’affleure, au milieu de la joie du retour, un peu de mélancolie. Je la soigne aujourd’hui dans un dialogue silencieux avec mes petits coureurs qui grimpent à l’assaut des étagères de ma bibliothèque. On dirait les lacets de Montvernier découverts dans la 18e étape vers Saint-Jean-de-Maurienne. Ces champions de métal sont les compagnons de mes treize ans lorsque, sur le carrelage en damier de notre cuisine, et sur toute la ligne droite du couloir, je leur donnais des ailes grâce au hasard des dés. Parfois un maillot décollait grâce à un double-six qui l’assurait de rejouer et de creuser l’écart. Mes préférés, le maillot, à damier lui aussi, de Thévenet, le Bic couleur de flamme d’Ocana, le Molteni d’Eddy, il m’arrivait de trouver un prétexte pour les propulser plus avant si un obscur inconnu, par le sortilège des chiffres, se trouvait en tête. A présent mon peloton métallique franchit à chaque lacet de bois un obstacle de taille : tout Simenon pour commencer, puis l’œuvre complète de Marguerite Duras (2e virage) avant de déboucher sur mes Modiano. Vient ensuite, un étage plus haut, la prose mince mais ô combien profonde d’Antoine Blondin, suivie par celle, plus dense et coriace, de Romain Gary. Vers les sommets attendent Garcia Marquez, Graham Greene et Erri de Luca (grand escaladeur). C’est dire qu’ils en voient du pays, mes petits coureurs. Tiens, pour le Tour 2016, je leur ferai découvrir d’autres champions, Hemingway (mais dans quelle équipe court-il ? demanda-t-on à Blondin un jour d’étape ennuyeuse où il lui avait consacré sa chronique de l’Equipe…).
L’autre jour à Barcelonnette, chez un marchand de jouets, j’ai acheté un petit coureur tout doré, maillot jaune des pieds à la casquette. Il venait de la fonderie Roger, une des dernières, sinon la dernière en France, à fondre des champions miniature, lourds comme du plomb et légers au cœur dès qu’on les tient dans sa main. Il va falloir que je lui trouve un nom, j’hésite entre Pinot, Bardet et Barguil, car je rêve d’un jaune tricolore, ce serait un bel arc-en-ciel, après la pluie des Champs-Elysées.
