L’histoire du Tour s’est plus d’une fois écrite sur les pentes des Alpes. Il suffit d’écrire les noms des sommets mythiques pour voir se détacher les visages de grands champions. L’Izoard à jamais associé à Fausto Coppi et Louison Bobet, immortalisés l’un et l’autre par une stèle qui les unit dans la Casse déserte, cet espace lunaire qui rappelle le sommet du Ventoux. Coppi encore, et aussi Bahamontès l’aigle de Tolède, ou Charlie Gaul, l’Ange de la montagne, si on évoque le Galibier. Trois fois dans sa carrière, Bobet est passé en tête dans l’Izoard, en 1950 une première fois, puis dans ses années victorieuses de 1953 et 1954. « Un grand champion doit passer en jaune dans l’Izoard », confia-t-il un jour à Bernard Thévenet, conseil que su mettre à profit le champion bourguignon en 1975, l’année où il fit plier le Cannibale Eddy Merckx.
Les Alpes, elles, sourirent aussi à Luis Ocana en 1971, quand son raid solitaire vers Orcières-Merlette lui permit déjà de ravir le maillot jaune à Eddy Merckx. Mais cette fois, le destin veillait, et il n’était pas bien intentionné à l’endroit de l’espagnol de Mont de Marsan. Sa chute tragique dans le col de Mente provoqua son abandon. On l’évacua en hélicoptère, son maillot jaune en lambeaux. Les Pyrénées noires d’orage avaient effacé les Alpes éclatantes de sa victoire. Ainsi va la vie des héros du Tour, que les montagnes sacrent ou massacrent, selon leur bon vouloir. Vérité dans les Alpes, mensonge dans les Pyrénées, les juges de paix ont parfois l’esprit de contradiction.
Eric Fottorino