C’est une expression qui a rétréci en route car on n‘a pas le temps de perdre des secondes. Avant on appelait ça le contre-la-montre, trois mots pour dire l’épreuve de vérité, l’épreuve contre soi, face à l’horloge et ses aiguilles aiguisées. Maintenant on dit juste chrono. L’épreuve du chrono. C’est plus court, plus rapide, plus cruel aussi. Dans chrono, on entend crocs, le temps qui mord, le Dieu Chronos qui avale ses proies : le temps est un grand maître mais il tue tous ses élèves…
Le plus grand spécialiste de tous les temps fut sans doute Jacques Anquetil, dit maître Jacques, celui qu’on appela le premier coureur métronome. Quintuple vainqueur du Tour, le champion normand était à lui tout seul un mécanisme d’horlogerie qu’aucun grain de sable ne venait jamais enrayer. Sur un vélo, dans ce mano-a-mano avec lui-même, il était beau à regarder. C’était un artiste, un soliste. « Il pédalait blond » a écrit dans une formule fulgurante le romancier Paul Fournel. Tout est dit (Tout Eddy aurait écrit Blondin à propos d’un autre phénomène du chrono, le grand Merckx). On ajoutera que ce grand calculateur considérait avec ironie que s’il gagnait avec 14 secondes d’avance, c’était treize de trop !
La cruauté du chronomètre, bien des coureurs l’ont éprouvée, de Raymond Poulidor s’inclinant face à Anquetil à Herman Van Springel battu in extremis dans la dernière étape du Tour 1968 par le hollandais Jan Janssen. Mais s’il reste dans nos esprits une image aux allures dramatiques, c’est celle de Laurent Fignon, blessé à la selle, perdant son maillot jaune dans l’ultime étape et l’ultime chrono du Tour 1989, pour 8 petites secondes, au profit de Greg Lemond. 8 secondes, une sorte d’éternité, celle qui sépare la victoire de la défaite.
Eric Fottorino