Il est des journées de repos qui ne sont pas toujours de tout repos pour les coureurs. Prenez celle du 5 juillet 1964, dans le dernier Tour de France que s’adjugea Jacques Anquetil. Ce jour-là, le champion normand était rongé d’inquiétude. La course venait d’arriver au pied des Pyrénées. Mais ce n’était pas la montagne qui contrariait Maître Jacques. C’était la prédiction d’un mage, un certain Belline, à qui la vox populi accordait un crédit démesuré. Ce Belline avait prédit un événement affreux : Anquetil allait se tuer dans une chute lors du passage du Tour en Andorre. Superstitieux, le déjà quatre fois vainqueur de la Grande Boucle ? On n’imaginait pas que ce champion à la tête froide serait impressionné par un charlatan. Et pourtant si. Il ne dormit pas de la nuit et sa journée de repos, il la passa à se ronger les sangs, en proie à une anxiété incontrôlable. Le soir, pour tromper ses angoisses, il se rendit au méchoui qu’une radio organisait dans la ville départ de l’étape du lendemain. Il mordit à belles dents dans une épaule d’agneau qu’il engloutit sans tarder, arrosée de quelques boissons assez peu diététiques.
Ce qui devait arriver arriva. Non point Dieu merci la mort du champion, mais la défaillance. Une défaillance terrible qui semblait sans appel. Anquetil passa au sommet du port d’Envalira avec 4 minutes de retard sur le groupe Poulidor qui pédalait vers la victoire. Anquetil allait abandonner, c’était presque fini pour lui. Pourtant, son coéquipier Louis Rostollan l’encouragea si bien que le normand se remit en route. Il accomplit une descente foudroyante en plein brouillard. Une descente à tombeau ouvert. Prenant tous les risques, oubliant au passage les prédictions du mage, ou alors voulant les exorciser, il rejoignit Poulidor… qui creva. Le limousin vit s’envoler ses espoirs de maillot jaune. Et Anquetil pédala sans encombre vers son cinquième succès dans le Tour…