Emilie Poucan : Femme de l'année

Sur notre grand écran privé, l’horreur s’invitait sans détour. Dès notre arrivée en Bretagne , alors que nous visitions Concarneau, ma fille en larmes nous apprit le décès accidentel de son amie Emilie. Elle était la seule française à bord du Johannesburg Tripoli qui venait de se crasher à l’atterrissage. L’avion s’était désintégré juste avant de toucher le sol et seul un gamin de 8 ans avait par miracle survécu. Le ministre lybien des transports, excluait d’entrée tout attentat terroriste, ce qui dans ce pays cadenassé ouvrait le champ à bien des conjectures.

A 32 ans Emilie avait trouvé la mort comme elle avait vécu sa vie, en femme libre et baroudeuse. Je la connaissais depuis 20 ans. Son père me l’avait mis dans les pattes à Cholet à l’occasion d’une rencontre de basket. Elle devait avoir 12 ans à peine et rêvait de devenir journaliste. Elle portait dàjà les stigmate de la profession, morveuse, chiante et ingérable. Je la revis 4 ou 5 années plus tard  à Bercy à l’occasion d’un championnat d’athlétisme indoor. Le zébulon s’était doublé d’une chipie, mais il émanait de l’effrontée un besoin immense d’amour et de reconnaissance. Lorsqu’elle devint logiquement l’attachée de presse de la fédération française d’athlétisme, je repensais à mes premiers pas, à cette passion insensée dont la puissance déplaçait toutes les montagnes, gommait toutes les terreurs.

Emilie mi groupie, mi narquoise, fit ses classes sur les stades, apprit pas à pas  son métier toujours disponible sur son portable, prête à répondre aux moindres sollicitations des athlètes et des rédacteurs. Puis ASO lui proposa un salaire plus en rapport avec son potentiel. Elle intégra l’équipe du Paris Dakar et commença à voyager de par le monde, avec frénésie et boulimie. Je conservais avec elle le contact une fois l’an à l’occasion du marathon de Paris. Elle ne changeait guère, me tendait la joue sans embrasser en retour. Elle noyait toutes ses angoisses par « Un rien que du bonheur » qui détonnait parfois. Emilie, infatigable et sociable, remplissait désespérement l’espace de sa dégaine de garçon manqué. Elle était en vérité très solitaire. Laurence , chez laquelle elle se réfugiait parfois, me confia qu’il y avait, comme les poupées russes, plusieurs personnages, imbriquées en elle et qu’elle pleurait beaucoup. Emilie fonçait pour ne pas avoir à s’apesantir sur elle-même. Vanessa , son amie perchiste, évoqua lors de l’hommage solennel de tous ses amis réunis à Charléty, des confidences  échangées. Sous ses allures de petites soeur baroudeuse, Emilie la délicate emportait tous ses secrets. 

Désintégrée en solitaire, seule française parmi une colonie de néerlandais eut droit, en l’absence de sa dépouille,  à tous les hommages cathodiques. Sa photo dans le 20 heures, un sketch inique des guignols. La caricature de Gérard Holtz vantant l’esprit sacré du Dakar, l’épreuve qui tuait aveuglement sous toutes les latitudes.A Charléty la  salle était trop petite pour y accueillir tant de visages éplorés. Emilie aurait sans doute apprécié les discours compassés des grands patrons accourus, des amis inconsolables, de sa famille incroyable de dignité.

Christian son père, nous invita pour finir à déguster un BN à la fraise, un chupa chups et un verre de Coca, un quatre heures d’enfant,  qui évoquait dans le cœur des parents le bébé qui n’avait jamais grandi. Personne dans l’assistance sans doute ne connaissait vraiment Emilie. Armelle sa copine qui l’avait accompagné à l’aéroport de Johannesburg, la dernière personne à l’avoir vu vivante, lut cette prière, jeta en direction de l’assistance une bouée à laquelle tout le monde eut soudain envie de se raccrocher. Je la recopiai fidèlement.

Prière indienne


"À ceux que j'aime...
et ceux qui m'aiment."
Quand je ne serai plus là,
relâchez-moi,
laissez-moi partir.
J'ai tellement de choses
à faire et à voir.
Soyez reconnaissants pour
les belles années.
Je vous ai donné mon amitié,
vous pouvez seulement deviner
le bonheur que vous m'avez apporté.
Je vous remercie de l'amour que
chacun m'a démontré.
Maintenant, il est temps
de voyager seul(e).
Pour un court moment,
vous pouvez avoir de la peine,
la confiance vous apportera
réconfort et consolation.
Nous serons séparés pour
quelque temps.
Laissez les souvenirs
apaiser votre douleur,
je ne suis pas loin,
et la vie continue...
Si vous avez besoin,
appelez-moi et je viendrai.
Même si vous ne pouvez me voir
ou me toucher, je serai là.
Et si vous écoutez votre coeur,
vous éprouverez clairement
la douceur de l'amour
que j'apporterai.
Et quand il sera temps pour vous
de partir, je serai là pour
vous accueillir.
Absent(e) de mon corps,
présent(e) avec Dieu.
N'allez pas sur ma tombe
pour pleurer,
je ne suis pas là,
je ne dors pas,
je suis les mille vents
qui soufflent.
Je suis le scintillement
des cristaux de neige.
Je suis la lumière qui traverse
les champs de blé,
je suis la douce pluie d'automne.
Je suis l'éveil des oiseaux
dans le calme du matin.
Je suis l'étoile qui brille
dans la nuit.
N'allez pas sur ma tombe
pour pleurer.
Je ne suis pas là,
je ne suis pas mort(e).
 

Publié par pmontel / Catégories : Hommage