Respect pour le Japon !

Le shintoïsme qui constitue aujourd’hui encore avec le bouddhisme le ferment spirituel sur lequel repose la vie sociale du Japon, considère comme divins aussi bien les forces de la nature que les animaux ou les hommes célèbres. Ces divinités nommées " kami"  s’imposent à l’homme dans les moments heureux ou malheureux de son existence. D’où une certaine forme de fatalisme, voire d’apathie apparente  vis-à-vis des catastrophes naturelles, par définitions, inattendues, injustes et douloureuses.

La pratique sportive au pays du soleil levant intègre en partie  cette philosophie.

Dans les combats de "Sumo", lutte où s'affrontent deux colosses quasi-nus qui cherchent à se pousser hors d'un cercle, les rites s’imposent à la performance. Les lutteurs jettent une poignée de sel pour purifier l'arène, ils se balancent d'un pied sur l'autre pour écraser les forces du mal, quant à l'arbitre, issu d'une famille spécialisée dans cette fonction, il est vêtu comme un prêtre shinto.

Lors des jeux olympiques de Tokyo organisés en 1964 pour la première fois sur le continent asiatique, certaines failles apparaissent pourtant. Dans leur livre consacré à l’histoire des jeux olympiques, Robert Parienté et Guy Lagorce, racontent comment la victoire du géant hollandais, Anton Geesink sur l’idole du pays,  Akio Kamaniga en finale des super lourds en judo a arraché à une partie du public des larmes silencieuses.

Là encore  aucune démonstration excessive, juste un trop plein de chagrin gommé par un mouchoir, un revers de la main. La violence accumulée n’en est que plus dévastatrice lorsque les digues cèdent brutalement.

A l’arrivée du marathon olympique, le japonais  Kokichi Tsuburaya dut se contenter de la médaille de bronze, ce qui pour son peuple fut considéré comme un véritable drame national. L’idole du grand fond ne se remettra jamais de cette cruelle déconvenue. Pendant deux ans Tsuburaya portera en lui tout le poids de  cette humiliation. Malgré tous ses efforts à l’entraînement il ne retrouvera jamais sa forme et son statut et finira par se faire hara-kiri le 19 janvier 1968, deux mois après sa sortie de l'hôpital où il venait de subir une opération de l’estomac. Dans une lettre testament il demandera pardon à son peuple de l'affront infligé dans l’arène olympique quatre années auparavant.

Le sport dans ces circonstances exceptionnelles en libérant certaines vannes émotionnelles peut permettre de comprendre ce que l’objectif d’une caméra ne discerne pas toujours. Le peuple japonais souffre à l’évidence même si cela ne se voit pas.

Je me demande par exemple dans quel état d’esprit se trouve aujourd’hui Yoshinori Sakai  s'il est toujours en vie. L'ancien  athlète nippon alors âgé de 19 ans avait allumé la vasque dans le stade olympique de Tokyo, le jour de la cérémonie d’ouverture. Il avait été choisi non pour ses qualités intrinsèques de sprinteur mais parce qu‘il était né le 6 août 1945 à Hiroshima le jour de l’explosion de la bombe atomique qui allait faire plus de 200000 victimes.

A quoi peut bien penser Yoshinori, devenu par la suite journaliste ? Ecrase t-il subrepticement une larme silencieuse en pensant à ce qu’il risque d’advenir à ceux qui ont le malheur d’avoir élu domicile près de la centrale nucléaire de Fukushima ?
 

Publié par pmontel / Catégories : Hommage