Les champions la veille de la compétition sont d’ordinaire plus mesurés, quitte à cacher leur jeu comme s’ils anticipaient par avance les conséquences d’un échec toujours possible. Teddy, lui ne calcule jamais et semble toujours prêt à encaisser l’onde de choc quelle qu’elle soit.
Il est dans la vie comme sur un sautoir. Brut et bondissant comme les flow de rap qui lui collent au maillot. Ses états d’âme, si tentés qu’il en ait eus un jour, il les garde pour lui et les met entre parenthèses dès la chambre d’appel. Cette confiance inébranlable dans sa technique et son potentiel physique en fait un redoutable compétiteur. Il l’a encore prouvé dans le Pas de Calais où en dépit d’un concours digne d’une finale olympique, il a relégué son plus proche adversaire, le talentueux cubain Copello à 50 centimètres, autrement dit un gouffre dans le jargon.
Teddy fait partie de ces champions de très haut niveau qui dans les grandes occasions finissent toujours par faire la différence justement parce que leur mental exceptionnel leur procure un avantage décisif sur tous les autres. Et Teddy, on l’oublie un peu vite n’a que 21 ans ! Comme tous les gamins pressés il a déjà prévu d’effacer au plus vite des tablettes le prestigieux Jonathan Edwards qui détient le record du monde en plein air. (18m29 depuis 1995). Il le lui a d’ailleurs dit sans ambages lors de leur première rencontre. Beaucoup d’observateurs ont alors hurlé au sacrilège. Le goéland lui s’est contenté de sourire, persuadé du talent et des jambes de feu du gamin.
Depuis ses premiers pas sous les couleurs du Dynamic club d’Aulnay, Teddy a fait son chemin. Champion du monde junior en plein air, champion du monde en salle. Il s’est même affranchi du giron de la fédération en allant comme Marie Jo Perec avant lui, aller chercher conseil à l’étranger auprès du autre mythe, le sauteur en longueur cubain Ivan Pedroso. Il ne lui manque plus désormais que la consécration olympique, alors que sa carrière au plus haut niveau ne fait tout juste que commencer.
Teddy me fait penser à certains gamins des cités auxquels j’enseignais l’économie à Créteil dans les années 80. Leur BEP en poche, ils débarquaient dégingandés, encore affamés, en classe de première, bien décidés à décrocher le bac comme une lune qui leur était depuis toujours interdite. Ces élèves issus de l’immigration n’étaient pas toujours les plus académiques ni dans leur comportement ni dans leur démarche, mais assurément ils figuraient parmi les plus motivés et les plus attachants. Ce sont ces Teddy de banlieue qui m’ont conforté dans la conviction que l’éducation et le sport doivent constituer de formidables facteurs d’intégration pour peu que les adultes installés acceptent de se remettre de temps en temps en cause pour dépasser les seules apparences.
Teddy qui n’a jamais fait dans la demi mesure a eu la chance de rencontrer l’un de ceux là. En 2004, il croise la route de Jean-Hervé Stievenart, le meilleur spécialiste de triple saut en France. Un technicien de l’ombre, attentif et surtout un éducateur profondément humain. Dès sa première sortie le jeune prodige réalise un bond prometteur mesuré à 13m91. Beaucoup plus en vérité. Stievenard a déjà senti l’énergie inouïe qui bouillonne en Teddy et qu’il n’aura de cesse durant leur aventure commune que de canaliser. Il transforme le gamin turbulent en performeur d’exception et lui inculque en prime quelques valeurs qui lui seront très utiles une fois sa carrière d’athlète terminée. La preuve lorsqu’ils séparent sans fracas à la fin de la saison passée, Teddy qui n’aime pourtant pas trop se retourner, ne manque pas de lui rendre publiquement hommage. Quant à Stievenard le taiseux, en professeur intelligent, il s’efface puisqu’à cet instant précis il a conscience que l’élève a déjà dépassé le maître.