Je me souviens de cette phrase d’Hervé Bourges alors président de France Télévisions, quand jeune commentateur, je venais de m’emporter à l’antenne en direct pestant contre une coupure de publicité intempestive « Vous avez le droit de formuler toutes les critiques que vous voulez à condition que le linge sale soit lavé en famille ! » Aujourd’hui, hélas, la moindre anicroche, le moindre débat en conférence de rédaction est fidèlement colporté quelques minutes plus tard sur Internet dans des blogs qui en font leurs choux gras. D’ordinaire le rapporteur exige courageusement l’anonymat. Arnaud aura au moins le mérite d’avoir apposé sa signature.
C’est en tant que journaliste historique de Stade 2 que je vous fais part de ces quelques remarques puisque je reste l’un des rares du service à avoir travaillé avec tous les patrons des sports, à avoir traversé toutes les époques depuis la création de l’émission.
Robert Chapatte le concepteur de Stade 2 comptait exclusivement sur sa bande de copains. Roger Couderc, Thierry Roland, Pierre Salviac et quelques autres qui étaient abonnés à la table dominicale. Les autres journalistes, jeunes ou moins jeunes se contentaient des miettes. « Cela s’est passé cette semaine » ou de « Lundi à dimanche » Des éphémérides convenus sur lesquels chacun à tour de rôle posait sa voix. Il ne serait venu à l’idée de personne de contester les choix de Robert. D’abord parce que cela ne lui aurait fait ni chaud ni froid et surtout parce que les titulaires de la chaire étaient chacun dans leur discipline des monstres sacrés .A l’époque rappelons le, il n’y a avait que deux chaînes de télévision. Pour notre part, nous nous contentions donc d’alimenter les éditions des journaux et c’est au cours de ces exercices fastidieux en cabine que j’ai appris réellement mon métier. Nous étions des illustres inconnus mais n’étions pas plus malheureux que cela.
Sous l’ère Christian Quidet, nous avons découvert l’audimat. Une farce en papier qui s’affichait quotidiennement dans les ascenseurs de TF1 et qui peu à peu finit par nous contaminer. Il n’y avait désormais plus de bons ou de mauvais reportages, mais des sujets qui généraient plus ou moins d’audience. Le constat fut rude pour tous ceux d’entre nous qui étaient responsables des sports dits mineurs. Combien de fois ai-je entendu en conférence Pierre Fulla supplier. » On pourrait tout de même traiter cette discipline dans Stade 2 ne serait ce qu’une fois par an ! » Le ton montait souvent entre les nantis du football ou du rugby et les « Une fois par an « qui devaient chaque lundi trouver des angles originaux pour espérer figurer autour de la table de Stade 2. Plusieurs fois, on faillit en venir aux mains, mais à chaque fois rien ne transpira.
Sous la direction de Jean Réveillon puis de Patrick Chêne, nous ratâmes deux trains d’importance, sans d’ailleurs que nos patrons de l’époque n’en soient en aucune manière responsables. Celui d’Eurosport d’abord puis de Sport Plus ce qui aurait permis au service public de se doter d’un appendice 100% sport pour diffuser toutes les disciplines dont nous détenions les droits via l’UER. Il y aurait eu une légitimité certaine à ce qu’une chaîne olympique prit son envol dans le giron du service public. A chaque fois la rédaction combative et inspirée crut à une issue heureuse. A chaque fois notre actionnaire principal nous adressa une fin de non recevoir.
Le porte-feuille de droits de Canal Plus pendant ce temps s’enrichissait à vue d’œil et nous découvrîmes la pénurie entre deux évènements conservés par la chaîne. Le désoeuvrement manifeste de certains entraîna bien des heurts et des tensions dont le grand public heureusement ne sut jamais rien. Grâce au droit de citation, Stade 2 put survivre mais sous une forme différente. Il y avait trois catégories de sports désormais. Ceux dont nous détenions les droits et ceux qui étaient la propriété de la concurrence. Et toujours bien sûr le cortége des sports oubliés de plus en plus conséquent.
Sous la direction de Charles Bietry et de Frédéric Chevit, les jeunes journalistes prirent le pas sur les anciens. De nouvelles têtes furent propulsées tant en plateau qu’en commentaires. Un vent de jeunisme et de nouveauté soufflait sur la rédaction. Quelques journalistes accourus de l’extérieur bénéficièrent sans délai des meilleures places avec des émoluments en rapport, avant de repartir comme ils étaient venus. Bien sûr certains cadres fidèles depuis toujours au service public eurent du mal à contenir leur colère mais encore une fois rien ne fut jeté sur la place publique.
Internet en multipliant les supports et les appétits a donc fait sauter le couvercle de la marmite qui bouillonne depuis toujours. Aujourd’hui et c’est heureux n’importe qui sur la toile peut recueillir à peu près n’importe quoi. Du bon et évidemment du moins bon. Les rédactions privées concurrentes résistent encore à la porosité ambiante. N’y a-t-il pourtant aucune tension en leur sein pour autant ?
Par ce court historique j’ai simplement voulu montrer que les problèmes soulevés par Arnaud ont toujours existé et qu’ils existeront toujours qu’ils sont inhérents aux règles du jeu même de la profession. A ce gâteau qui se rétracte, à ces parts distribuées toujours plus chiches. Mais quelque soit sa taille et la cerise que l’on pose dessus, on opposera toujours ceux toujours ceux qui héritent des morceaux crémeux et tous les autres qui salivent en guettant la place.
Une seule chose a changé fondamentalement. Le paysage. Aujourd’hui avec l’avènement du numérique il y a plusieurs centaines de canaux de diffusion et donc plusieurs milliers de journalistes sportifs pour les alimenter. L’immense majorité d’entre eux est condamnée à l’anonymat. Le Couderc ou le Roland de la promotion 2011 n’a qu’une chance infime d’émerger un jour et pourtant son talent n’est pas en cause. Faut-il pour cela désespérer du métier et continuer à se déchirer en public pour le plus grand bonheur de ceux qui se nourrissent de notre chagrin ?