Et la passion plus que tout autre sentiment n’a que faire des regrets éternels et du néant. Je profite donc de ce que Thierry Roland soit en pleine forme pour souligner sa longévité exceptionnelle au micro du sport roi.
Si les sondages à courte vue ont tendance désormais à ignorer son impact, interrogez donc les gens de la rue et vous constaterez comme moi que Thierry est infiniment plus qu’un simple commentateur. Qu’il appartient désormais à la mémoire collective, cet espace noble que seules l’affection durable et l’admiration du public isolent dans un coin protégé de notre cerveau. Cette zone rétrécie qui reste interdite à tout ce qui n’est que fugace.
Parce que tout évolue de manière si brutale aujourd’hui. Les modes, les idées, les amours reléguées au rang de simples foucades, où on est décrété vieux à 40 ans. Thierry en a 73. Il dure et côtoie allègrement toutes les générations de footballeurs, de supporters et de commentateurs.
Tout ce qui touche à l’amour du ballon porte son empreinte depuis plus d’un demi-siècle. Je me souviens que gamin, je me taillais un franc succès auprès de mes camarades de lycée en imitant son accent de titi parisien. » Madame, Mesdemoiselles, Messieurs bonsoir ! » Etudiant et comme tout à chacun, supporter des verts, ce sont ses envolées lyriques face à Kiev, au PSV ou au Bayern qui m’ont donné envie un jour de tenter ma chance dans la profession. Si je n’aurais jamais balle au pied le talent d’un Rocheteau, je pouvais encore avec un peu de chance me nourrir de la verve de Roland.
Lorsque j’ai pénétré pour la première fois rue Cognacq Jay dans l’antre des géants, je n’ai pas eu besoin de demander mon chemin. Du bout du couloir, j’entendais déjà son rire tonitruant. Certains évidemment se souviendront de ses formules à l’emporte pièce lâchées dans l’excitation du direct. D’autres mettront en exergue la culture limitée de celui qui s’enorgueillit de n’avoir dans sa bibliothèque que les œuvres complètes de l’hebdomadaire France Football. Pour l’avoir côtoyé à l’époque du service des sports d’Antenne 2, je conserve pour ma part le souvenir d’un journaliste d’une conscience extrême. Car la carrière de Thierry ne se résume pas aux commentaires de 1300 matches de foot, étalés sur 7 coupes du monde. Thierry Roland m’a transmis aussi son amour de l’athlétisme, son goût pour les statistiques qu’il compilait à la main sur des fiches, de longues heures avant chaque compétition.
Mais surtout Thierry m’a conforté dans l’idée extravagante que l’amitié pouvait encore avoir toute sa place dans un milieu des plus concurrentiels. Car si je suis sûr d’une seule chose aujourd’hui, c’est que Thierry aurait renoncé à sa carrière, à tous les honneurs, à toutes les campagnes s’il lui avait fallu pour triompher mettre en péril sa relation avec Roger Couderc et Robert Chapatte, ses amis à la vie à la mort.