Le cauchemar d'Alain Bernard

Compte tenu du mode impitoyable des sélections en natation, l’une de ses plus grandes stars  n’aura droit sur la distance reine, qu’à un strapontin. Une simple qualification au sein du relais 4x100 m.
Cette histoire extraordinaire, totalement impensable il y a seulement quelques années, serait d’une banalité effrayante aux USA, qui depuis toujours accommodent leurs championnats nationaux  de sélections couperet.
Les trois premiers de chaque épreuve en athlétisme, les deux  premiers en natation gagnent automatiquement leur ticket, pour les championnats du monde ou les jeux olympiques. Le réservoir universitaire est si dense outre atlantique dans ses deux disciplines, qu’il n’existe aucune autre formule  envisageable.
Mais en France ? Il s’agit en l’occurrence d’une véritable révolution culturelle, du résultat d’un travail acharné.
Gilot, Meynard, Agniel, Bernard et même Stravius le dossiste, tous sont descendus sous les 49 secondes, la marque du très haut niveau mondial.
Dans l’ombre de  ces joyaux, gravitent évidemment des techniciens hors pair et un peu plus en amont résiste encore l’empreinte d’un visionnaire, Claude Fauquet qui après des résultats calamiteux eut le courage de remettre tous les compteurs à zéro.
Forcément en tant que commentateur de l’athlétisme, je me sens un tantinet envieux. La France du sprint en bassin de 50 mètres, c’est aujourd’hui l’équivalent de la Jamaïque de Bolt ou des USA de Lewis sur une piste en tartan.
Combien d’heures cumulées ces champions auront –ils concédé à leur passion ? Combien de gestes  et de postures auront été inlassablement décrypté. Florence Chavallard, membre du service Recherches et Performances de la FFN, avait à partir des séries du matin livré les clés de cette course d’anthologie, en analysant le départ qui pèse pour environ 10 à 15% du résultat final. Sans doute encore un peu plus pour les distances les plus explosives.
« En ce qui concerne Alain Bernard, son gros point faible est son temps de réaction qui est très lent comparé aux autres. » Trois dixièmes de seconde exactement de retard sur la tête de course à mi-parcours. Rédhibitoire.
Pour ce qui concerne, Gilot et Meynard, les deux marseillais  qualifiés pour Shanghai, » Leur défaut principal est la conséquence de leur qualité » Constate la chercheuse . « Celle de pouvoir baisser leur centre de gravité pour partir à l’horizontal et finalement avoir un plongeon très loin. » Gilot en a profité pour prendre tous les risques d’entrée, Meynard lui a  économisé ses forces pour revenir comme une bombe dans l’ultime 50.
« Comme les résistances dans l’air sont très inférieures aux résistances dans l’eau » Poursuit-elle « C’est très intéressant pour eux d’aller le plus loin possible au-dessus de l’eau. En revanche, leur point faible est de perdre du temps pour abaisser le centre de gravité qui va par la suite devoir remonter. »
Reste le talent à l’état pur, celui de Yannick Agniel qui de toute évidence assurera la relève dès l’année prochaine aux Jeux Olympiques « Son gros point fort est qu’il est extrêmement profilé. Lorsqu’on le voit plonger, on voit très bien qu’aucun morceau de segment ne ressort du reste. On sent que cela a été très travaillé. »
Nous voilà donc rassurés tant en ce qui concerne  la quantité que la qualité du travail et de l’analyse. La France en natation fait désormais peur aux nations traditionnellement prolifiques (USA, Australie, Russie par exemple).
Il faudra dans les semaines à venir toutefois réaliser l’essentiel. L’osmose entre tous ces champions à fort potentiel et caractère. Cela ne sera sans doute pas le plus simple d’harmoniser tous les ego. Mais pour avoir vu à la télé,  l’ambiance décontractée qui régnait à Strasbourg dans la chambre d’appel quelques minutes seulement avant la grande explication, je ne suis pas inquiet.
Nos « Formule 1 » aquatiques savent en toutes circonstances conserver le sens de la mesure. Ils ont la tête bien faite et bien pleine. Ce n’est pas le moindre de leurs atouts.
Publié par pmontel / Catégories : Natation