Médiatisation et intégrisme.

L’info a failli passer inaperçue. Deux marcheurs émérites, Bertrand Moulinet et Cédric Houssaye,  ont gagné sur 50 km à Dudince leur sélection pour les prochains championnats du monde d’athlétisme. Le site spécialisé « Run in live » qui rend compte de  l’évènement  publie une interview de Houssaye qui se plaint  ouvertement de l’attitude pendant l’épreuve de qualification de  son compatriote Moulinet. »
Bertrand Moulinet m’a rattrapé et du 20e au 40e km, je lui ai servi de paravent. Je n’ai pas forcément apprécié. On aurait eu intérêt à collaborer et à nous relayer, puisque nous n’étions plus que deux Français pour deux places. »
C’est le même Moulinet qui refuse à l’arrivée de s’exprimer. Cette passe d’armes, digne d’un vestiaire de football, s’est déroulée dans le cadre  de la discipline la plus fragile de l’athlétisme, la marche athlétique.
Je me souviens que dans les années 60, un bon marcheur pouvait espérer  vivoter de son sport en participant aux kermesses populaires. Des marches organisées  autour d’un circuit tracé en ville et dotées de primes diverses, en nature ou en espèces. La France  de l’après guerre était alors friande des exploits  des forçats du bitume.
Depuis les mentalités en même temps que le niveau de vie moyen de la population ont bien évolué,  si bien que ces épreuves  ont quasiment disparu des rassemblements populaires. Même la plus célèbre d’entre elle » Paris-Colmar » peine à renaître de ses cendres.
Ne restent donc en lice qu’une poignée d’irréductibles qui au prix d’un entraînement dantesque parviennent à se maintenir au plus haut niveau mondial, en marge de toute médiatisation.
Pendant très longtemps, nous nous sommes en effet dispensés de retransmettre le 50 km des grands championnats dans leur intégralité.  Le départ de l’épreuve était donné tôt le matin  dans l’anonymat le plus absolu. Nous nous contentions d’accompagner les marcheurs dans leur effort final.
Il a fallu l’éclosion d’un Yohann Diniz pour nous contraindre à réviser notre politique. L’intérêt du 50 km proposé désormais dans son intégralité repose exclusivement sur les épaules du champion rémois.
Jusqu’à présent Yohann tant  par ses exceptionnelles performances que par la qualité de ses réactions à chaud, ne nous a jamais déçu. Son dernier coup d'éclat à Barcelone où il a fait la course en tête de bout en bout  a montré à quel point ce garçon avait du panache. Seule une telle  attitude fière, conquérante et pour tout dire exemplaire,  peut attirer l’attention des gamins  et éviter à la marche athlétique de retomber dans l’indifférence la plus totale,  une fois que Yohann aura mis un terme à sa carrière.
Voilà pourquoi je regrette que Bertrand Moulinet, que je ne connais pas personnellement et contre lequel je ne ressens  aucun  grief particulier , ait refusé de s’exprimer après sa marche triomphale. Le voilà sur les forums spécialisés accusé de «  Sucer les roues » une expression peu amène pour signifier qu’il a refusé d’assurer  de relayer son compatriote et par conséquent sa performance manque singulièrement de panache.

Quelques  spécialistes "es athlé" en profitent même  pour étendre le champ des responsabilités. . . Bernard Brun  l’ancien entraîneur du crossman Thierry Pantel, n’hésite pas à mettre en cause…La télévision.

« En course à pied il y a toujours eu des suceurs de roues, je n'ai jamais aimé cela...mais comment voulez vous qu'il en soit autrement quand à la télé on vous assène que celui qui est derrière "court intelligemment"?
Quelle plaie cette télévision ! Répondis-je laconiquement, souhaitant par cette formule englober ironiquement les journalistes livrés au direct qui par  ignorance et emportement dédouanent par avance ceux qui se cachent et attendent le moment opportun pour porter leur attaque.
En réalité, Bernard Faure et moi-même essayons juste de rendre attractif une épreuve technique de très longue haleine (Près de 4 heures d’effort) réservée aux seuls et rares initiés.

Pierrot Pantel, le fis de Thierry, adepte des labours lui aussi, force encore un peu plus le trait.
« Ah ah ah !! J'ai éclaté de rire en vous lisant !! C'est faux M. Montel ?? Que vous souhaitiez défendre votre gagne pain c'est ce qu'il y a de plus logique n'est-ce pas...mais perso je l'ai entendu des dizaines (pour ne pas dire des centaines) de fois. A la TV puis, par bêtise caprine, sur les bords de pistes et les parcours de cross.... »
Par « bêtise caprine » probablement aussi, les gens ont tendance à toujours plébisciter les mêmes disciplines sportives et les programmateurs, sensibles aux mesures d’audience, en tirent des conclusions définitives.
Le cross si cher à mes contradicteurs a ainsi  disparu des écrans ( A l'exception notable  des France diffusés exceptionnellement cette année en décrochage régional sur France 3)  et par la même, nombre d’organisateurs en France ont été contraint de mettre la clé sous la porte.
Car l’intégrisme en sport comme ailleurs implique l’isolement et condamne à plus long terme à l’oubli pur et simple.
Et cela heureusement des hommes de dialogue, comme Bernard Brun,  ont parfaitement saisi l’effet pervers de ces petites guéguerres de position. Je lui laisse dans cet échange  de passionnés d’ailleurs le mot de la fin, persuadé comme toujours que la meilleure voie se situe au centre dans une atmosphère apaisée et tolérante.

« Au delà des aspects tactiques que je ne développerais pas ici il y a pour moi bien autre chose qui se joue avant ces aspects tactiques: c'est la notion éducative qui dit que l'on ne court pas seul que l'adversaire fait partie du jeu et qu'il faut le respecter. On peut appeler cela aussi le fair-play. Je suis atterré depuis mes débuts en course à pied par les attitudes "guerrières" d'entraîneurs, de parents et de dirigeants pour qui la fin justifie les moyens.
Non la course à pied pour moi ce n'est pas "Reste derrière" Bouge pas", non c'est aller de l'avant prendre des risques aller plus loin, ne pas être "raisonnable"...C'est en prenant des risques que la victoire est belle! Non Patrick ce n'est pas la faute "que" de la télé, mais elle contribue beaucoup à répandre cette idée dominante qui est que suivre c'est intelligent."