Depuis près de 20 ans, je consacre tous mes 1er mai à une visite au Puy en Velay.
Pas question pourtant pour moi d’en profiter comme une simple halte et m’engager sur les chemins qui mènent à St Jacques de Compostelle. Je me contente de limiter mon pèlerinage au circuit exigeant tracé en ville, celui qui consacre chaque année depuis 29 ans, le roi et la reine des 15 kilomètres.
Tous les plus grands arpenteurs d’asphalte sont venus ici, pour tenter d’inscrire leur nom au palmarès de l’épreuve etou s’enivrer du parfum très particulier qui flotte dans l’air ce jour là. Des effluves rares de partage et de tolérance.
J’ai eu la chance au fil des éditions, de croiser en Haute Loire, Alain Mimoun, Michel Jazy, Jean Louis Prianon, Ahmed Salah et plus récemment tous les meilleurs athlètes kenyans et éthiopiens. Derartu Tulu la championne olympique du 10000 mètres à Barcelone en 1992 intronisée ambassadrice de la cité médiévale. Sarah Etongue la camerounaise de Buéa, maman de neuf enfants, championne de course en montagne, qui le matin , a gravi dans la vieille ville, les centaines de marches qui mènent au sanctuaire de la vierge, pour la remercier de lui avoir permis de rendre visite aux hommes blancs, à ceux dont les parents avaient colonisé sa terre natale.
Tous les premiers mai, je fais donc partie de ces centaines de métèques qui convergent vers cette cuvette protégée des errances du monde. J’utilise bien sûr le substantif de métèque à dessein, dans son acception originelle c’est à dire « résident étranger à la ville » et non tel que l’usage en a, depuis le milieu du 20ème siècle, profondément dévoyé le sens.
Car le monde de la course sur route n’échappe pas hélas, au racisme ordinaire et aux discriminations insidieuses.
Je me souviens de ce rendez vous hivernal en banlieue parisienne qui faisait la part belle aux athlètes de nationalité française, grâce à la mise en place d’un système discriminatoire de primes de départ et par l’absence de récompenses décentes à l’arrivée.
Combien d’organisateurs sous le fallacieux prétexte que les coureurs des hauts plateaux archi dominaient la discipline ont ainsi cherché un moyen de contourner la vérité du sport, pour permettre à d’autres athlètes moins performants mais soit disant plus identifiés par leur public, de s’imposer ?
Les organisateurs du marathon d’Utrecht aux Pays Bas ont très récemment encore transgressé la limite du supportable en offrant une prime 100 fois supérieure à celle prévue dans la grille de prix, si un athlète local venait à s’imposer. Il s’agissait par cette manœuvre de décourager les inscriptions d’athlètes en provenance d’Afrique. Mission accomplie puisque le néerlandais Michel Butter, qui s(est imposé dans le temps très modeste de 2h et 17 minutes a empoché 14 500 dollars soit 100 fois plus que son second le kenyan Mutai Kipkorir.
Rien de tout cela bien au contraire n’a court au Puy en Velay. Le meilleur spécialiste français actuel, Driss El Himer s’est contenté pour sa première participation à l’épreuve, de la 7ème place loin derrière l'éthiopien Dino Sefir et le kenyan Kennedy Kimutai.
Mais cette année encore la reine vient de Nairobi. Sarah Chipchirchir, la jeune kenyane, qui après avoir réalisé 1h08 au semi de l’Humarathon en avril, a survolé avec une aisance rare les 15 kilomètres du Puy.
Dans la foule immense qui se pressait derrière les barrières personne n’y a trouvé à redire. Sarah a reçu sur le podium, tous les hommages dus à son statut d’authentique championne.
Le racisme n’est pas une fatalité à condition de rester en toutes circonstances, vigilant et déterminé. Et ne jamais perdre de vue que nous sommes forcément les étrangers d’un autre.
Le soir au Puy en Velay, bénévoles et compétiteurs, ont partagé le même repas, assis à la même table. Sarah rayonnante et frêle avait pour l’occasion, réhaussé sa chevelure de jais d’un diadème argenté qui brillait de mille feux.
Ces africains de l’Est que l’on dit volontiers timorés et introvertis lorsque l’on se contente de les observer de loin, sont des boute-en-train comme les autres dès qu’on se décide à les fréquenter de plus près. Et pas besoin pour cela de maîtriser parfaitement l’anglais ou le swahili.
Dans ces instants de pur bonheur, chaque premier jour du mois de mai, dans la fraternité d’un dîner pris en commun, je me dis, reconnaissant, que tout n’est peut être pas perdu.