Courir pour mieux réfléchir

En ces périodes opaques où dans de trop vieilles marmites mijotent encore des ragoûts  aux relents de défiance et de discrimination, la course de fond, loin de s’apparenter  à une fugue égoïste, peut permettre à l’homme entraîné  de prendre la distance nécessaire à la réflexion.
Participer au  marathon, revient toujours à s’effeuiller au fil des bornes et  peu à peu à se fondre dans la masse  sans autre petite  musique que le souffle de l’autre pour  nier sa propre souffrance et reculer ses propres limites .
Plus question de statut social, ni de couleur de peau pour ces   aventuriers , soudain assagis,  qui une fois la foulée calée, les pulsations cardiaques ordonnées, l’esprit allégé du superflu  se concentrent  sur l’essentiel. Tout ce qui nous réunit et nous comble lorsque le cerveau  en apesanteur est comme par magie nettoyé de toutes les vérités assénées
«  Les expressions du corps comblent ainsi les manques du langage, dépassent les limites assignées par les mots, formulent les non-dits. » Constate Pierre Mathiote dans un ouvrage opportunément intitulé « A quoi pensent les marathoniens ? »
Chacun, pour peu qu’il fouille un peu,  possède au fond de lui  une excellente raison de se lancer dans cette aventure intérieure et se libérer des toxines accumulées dans le quotidien anxiogène.
Reste évidemment à trouver le temps nécessaire pour se préparer à affronter les 42 bornes, la force de caractère pour aligner les séances d’entraînement.
Pour ma part, né privilégié,  je n’ai rien trouvé de mieux que la course à pied pour combattre mon addiction au tabac.
En Palestine,  où a  été récemment  organisé la première édition du marathon de Gaza,  les motivations étaient évidemment toutes autres.
« Les gens trouvent bizarre de courir. D’habitude les palestiniens courent seulement quand il y  a des frappes aériennes ou qu’ils ont peur » Ironisait un spectateur.
Si  quelques femmes ont pu prendre part à l’épreuve, c’est en respectant les codes vestimentaires islamiques en vigueur, pantalons longs et manches couvrant les épaules. Ce qui donne encore plus de poids à leur défi car la température de l’air entre Beit Hanoun et Rafah était comme souvent accablante.
Il n’est à ce propos pas inutile de rappeler que le droit pour les femmes à participer à un  marathon n’a été acquis que très récemment .
Mon complice Bernard Faure relate souvent l’histoire  de l'américaine Kathy Switzer lors du marathon de Boston en 1967. Démasquée dans le peloton par un officiel  après seulement 3km de course, son acte militant  a bouleversé la donne. Conformément au règlement, le  bénévole trop scrupuleux  s'était mis en devoir  d’expulser l’intruse sans ménagement. La présence sur les lieux d'un photographe pour immortaliser la scène accéléra la révolution des mentalités.
Aujourd’hui,  il ne viendrait à l’idée de personne de remettre en cause cet acquis. Au panthéon de ces pionnières figure en bonne place la norvégienne Grete Waitz, décédée en avril dernier d’un cancer à l’âge de 57 ans. Waitz championne du monde en 1983, victorieuse à neuf reprises de New York et privée du premier titre olympique de l’histoire en 1984 à Los Angeles par l’américaine  Joan Benoit victorieuse en 2h24.
Benoit qui âgée de 53 ans a  encore couvert la distance cette année à Boston en moins de 3 heures. Les éthiopiennes, les kenyanes, les japonaises  et les chinoises ont désormais pris le relais de Kathy, de Grete et de Joan. On évoque aussi le retour à la compétition de la recordwoman du monde britannique Paula Radcliffe qui à 37 ans passés ne désespère pas de briller l’année prochaine chez elle à Londres. Paula qui en 2003   couvrit la distance en 2h15, soit trois minutes moins vite seulement que mon ami Bernard Faure sacré champion de France en 1982.
Un chrono insensé, comme celui réalisé sous le soleil de  Gaza par Nader al Nasri (2h42, lors du marathon de l’espoir au trop faible écho, hélas !
« Les autorités israéliennes peuvent bloquer beaucoup de choses en vertu de l’embargo, mais pas l’amusement, l’humanité et la dignité dont nous avons été témoins aujourd’hui. » A simplement commenté  à l'issue de l'épreuve , Chris Gunness, le porte parole de l’agence des nations unies pour les réfugiés palestiniens, cité par l’AFP.